UnPur d'Isabelle Desesquelles : disséquer l'indicible

UnPur
Paru en août 2019 aux éditions Belfond
224 pages

Il y a des auteur(e)s dont on sait qu'ils/elles vont nous toucher, qu'importe le thème, qu'importe le temps. Isabelle Desesquelles fait partie de ceux-là. Je l'ai découverte l'an dernier avec le magnifique Je voudrais que la nuit me prenne puis ensuite Les âmes et les enfants d'abord. Les deux m'avaient chamboulée et conquise. Son nouveau roman, UnPur, est une nouvelle fois une sacrée claque.


Isabelle Desquelles est cette auteure qui explore à merveille l'indicible, l'intime de l'intime, l'enfance. Fouille chaque recoin. N'hésite pas à franchir la barrière du sombre. Toujours avec une forme de délicatesse. UnPur ne déroge pas à la règle. Une nouvelle fois, elle explore ce qui dérange, cette enfance brisée. Ce dont on ne parle pas à part dans la rubrique des faits divers. Sans concession, sans faux-semblants, elle plonge son lecteur dans un livre aussi troublant que rempli d'amour.

“ L'irréparable est une tache noire sur nos vies, tu auras beau frotter, tu ne l'effaceras pas. Que veux-tu m'avouer aujourd'hui que tu as enfoui si longtemps ? La vérité, on en fait ce que l'on veut, ce que l'on peut. On fait avec. Elle est une guimauve que l'on étire. On la tord, et elle prend toutes les formes, revêt l'apparence qu'on lui donne. ”

Ils sont deux. Ils sont jumeaux. Ils sont indissociables pour beaucoup mais pas pour Clarice, leur mère. Ils ont huit ans. A trois ils forment une unité, un rempart aux malheurs du passé et un concurrent aux rayons du soleil. Benjaminquejetaime et Julienquejetaime, le nom que leur donne Clarice. Mère extravagante. Qui s'enfuit des terrasses de café sans payer. Qui danse au milieu des autres. Qui rit de ce rire fort et surprenant. Ils sont tout pour elle. Elle leur a répété maintes et maintes fois son accouchement, le risque d'en perdre un et « en perdre un, c'était tout perdre ». 

Un été, après être allés rendre visite aux grands-parents à La Palmyre, dans cette maison familiale dont un terrible conte peuple le jardin, Clarice emmène ses fils à Venise. La belle Venise. La grande Venise. La place Saint-Marc et son flot de touristes. Le café Florian et son chocolat chaud. Venise et ses potentiels prédateurs... Venise et Benjaminquejetaime qui s’éclipse. Disparaît. 
Benjamin qui quarante ans plus tard se retrouve sur le banc non pas des victimes mais des accusés. Son frère semble être sur la défensive. Que s'est-il passé ce jour là à Venise ? Pourquoi Benjamin se retrouve-t-il accusé et non plus victime ? Quelle a été sa vie durant quarante ans ? Et celle de Julien, privé de son jumeau, et celle de Clariceenperdreuncetaittoutperdre ?

“ Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie. De bons tours à la folie... Je vais les lire et les relire, ses vers, je n'en aurai jamais assez, quand bien même jamais est un vertige que l'on ne peut fixer. Arthur Rimbaud l'a su plus qu'un autre. Ses vers ne me consolent pas, ils me justifient, comme on le fait en un clic d'une page d'écriture toute de travers. ”

J'ai dévoré UnPur comme Le Gargouilleur a dévoré l'enfance de Benjamin. J'ai refermé ce livre, le cœur et la gorge noués. Les yeux embués de tant de non-dits, de tant de gâchis, de tant de pardon qu'on ne parvient à s'accorder. Mais peut-il en être autrement lorsque l'enfance et l'insouciance prennent fin brutalement ?

Dans ces lieux que j'ai arpenté, chacune des images me sont immédiatement revenues en mémoire. Venise, Rome. Ces villes lumières qui s'assombrissent d'un coup. A coup de violence.
On pourrait évidemment penser deviner rapidement les faits. Moi-même j'ai cru avoir compris. Je me suis fait bernée. Rouler dans la farine. Ou plutôt dans le sable, comme celui que collectionne Julien. Mais loin d'avoir choisi la facilité, Isabelle Desquelles, à travers la voix de Benjamin, aborde sans détour un sujet tabou et ne laisse aucun répit au lecteur, comme cette famille n'en a eu aucun, comme Benjamin n'en a eu aucun. C'est dur, incisif, déchirant, parfois insoutenable tout en étant extrêmement sensible. On évolue avec Benjamin, à mesure que les pages s'enchaînent, les mots changent, se transforment, comme lui grandit ou plutôt comme il tente de le faire. Et en même temps, on garde ce recul, on se questionne, les pourquoi fusent avant de comprendre, à la toute fin. Comme Isabelle Desesquelles sait si bien le faire.

“ Garder ce qui disparaît, c'est l'oeuvre d'une vie. C'est notre enfance. ”

UnPur est ce roman de l'enfance fracassée, violée. Des souvenirs gravés qui inconsciemment se répercutent sur nos actes. Il est ce roman de la culpabilité qui ronge, des silences. Des silences coupables. De la construction d'une vie amputée. Des désirs et des corps aussi. Des pulsions. De la trahison et l'impossible pardon, envers soi-même avant tout. Il est ce roman de ce que l'on aimerait retrouver mais qui est perdu à jamais. 
Encore une fois, Isabelle Desesquelles jongle avec les fragilités de l'être, les mouvances. Elle se fait la voix de tout ceux a qui l'on arrache le bonheur et c'est parfaitement maîtrisé. 

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