La Citadelle d'Éric Metzger : amour, orgueil et rendez-vous manqué

La citadelle
Paru aux éditions Gallimard - Collection L'Arpenteur
mars 2019 - 208 pages

Lors de mon dernier voyage, roadtrip non pour la Corse mais pour l'Espagne, j'ai embarqué dans ma valise le dernier roman d'Eric Metzger et ce roadtrip ne s'est pas finalement pas contenté d'être paysager, il est devenu aussi sentimental...


Après de nombreuses années, Émile revient à Calvi, cette ville qu'il a arpenté en long, en large, en fêtes et en... amour raté. Immédiatement, on le sent, le retour n'est pas simple. Ce n'est pas Émile qui a décidé de retourner à Calvi, c'est Calvi qui l'a rappelé à elle. Comme avant. Lorsqu'il était étudiant et qu'il découvrait pour la première fois l'attraction de cette terre Corse. Son envoûtement, sa beauté, sa puissance. Calvi, sa citadelle, sa vue à couper le souffle, la fête, l'alcool, les potes friqués (son opposé) et... Andréa. Corse. Belle et agaçante. Attraction-répulsion. Orgueil et préjugés. À son contact, Émile disjoncte. Les sentiments et leurs contradictions...
Pourtant chaque été ou presque, Émile y retourne. Pour y peaufiner sa thèse sur Julien Sorel :  l'amour, objet de gloire du personnage, loin du tumulte parisien. Mais surtout dans l'espoir d'y revoir Andréa même s'il a bien du mal à l'admettre. Transportant avec lui son désir et sa souffrance. Cette tragédie d'une rencontre aussi lumineuse que douloureuse. Que sont-ils ? Amis, ennemis ? Sont-ils seulement quelque chose ? 

“ Bon sang, cogne, cogne, cogne mon cœur, et tant pis pour le reste, tant pis pour Paris, la vie, la famille, l'argent, les peurs, l'avenir, tant pis, on s'en fout de tout ça, cogne ! ”

Émile, habité par Julien Sorel, son ombre, ce reflet dans le miroir. Émile qui sans en prendre conscience (volontairement ou non) ressemble de plus en plus à cette figure Stendhalienne. 
Il est aussi fier qu'attachant, aussi immature qu'intelligent, aussi têtu qu'attirant. Il est un jeune homme torturé par un désir qu'il tente de rejeter, ou d'assouvir, trop tard, quand le mot de trop est sorti, quand la pique est plantée, quand le cœur est blessé. Il tente et trébuche. Il fuit pour ne pas risquer de s’égratigner – mais à fuir ne souffre-t-on pas davantage ? – , il grandit, s'endurcit, le croit-il. 
La vérité, c'est qu'Andréa a révélé toute sa fragilité...
Alors, le temps apaisera-t-il les tourments, donnera-t-il des réponses ? Émile et Andréa parviendront-ils un jour à se comprendre, à baisser les armes, laisser leur fierté au placard ? N'y a-t-il pas parfois des amours qui se fanent avant même d'éclore ? 

Lorsque l'on lit La Citadelle, nous pouvons nous trouver dans notre salon, dans les transports, en Espagne, nous sommes en immersion totale en Corse. Les nuances et la fierté de cette île qui déteignent sur ce personnage. La beauté des descriptions, la retranscription merveilleuse de ce lieu qui recèle deux joyaux qui se fondent l'un dans l'autre. Celui d'une terre et celui d'une femme. 

“ Trois heures plus tard, assis et ivre, il contemplait le sourire blanc de la mer découpé dans l’ombre de l’écume. S’il en avait eu le pouvoir, il aurait plongé la main dans le temps pour le retenir encore un peu. ”

Mais... je dois admettre que j'ai bien failli passer à côté de ce roman. J'étais partagée entre deux sentiments (finalement un peu comme notre héros) : transportée par la beauté de certains passages lyriques et sur la réserve à la lecture des dialogues. Je ne suis pas friande des dialogues, lorsqu'il y en a une multitude je suis bien souvent exigeante avec eux. Pour m'atteindre, ils doivent sonner justes, être percutants, pertinents, apporter une profondeur. À la lecture de La Citadelle, j'ai tiqué là-dessus. Dans un premier temps. Avant de comprendre, de m'approprier la mécanique de l'auteur, de ré-assembler pour parvenir à me mettre réellement dans la peau d'Émile. De le voir sous un autre jour, de comprendre et de vivre ses réactions – parfois drôles – adulescentes. Cette douleur subie autant que provoquée. Cette bataille que l'on mène contre soi-même. Ce cœur-forteresse. 

Oui, il m'a fallu laisser macérer un peu pour prendre conscience qu'Éric Metzger était parvenu à aller au plus profond de son personnage. À le détailler sous toutes ses coutures, rendre compte au mieux de cette errance du cœur, cet orgueil, cette recherche de l'autre et du soi, sa propre identité, ses propres limites aussi. Aller au plus proche de notre génération. Est-elle seulement si différente des précédentes ? En s'intéressant à Stendhal, Éric Metzger parvient aussi à nous démontrer que si la nôtre est résolument connectée et engendre par ce biais une autoflagellation quasi certaine, nos maladresses, nos réactions, nos envies, nos absences d'actions et nos doutes n'ont quant à eux pas tant évolués que cela. Les époques se lient, s'appellent et s'interpellent... Et Éric Metzger les marient finement.

“ En rédigeant sa thèse deux ans plus tôt, il avait réalisé que, bien plus que le non-amour de l'autre, c'est surtout la perspective de l'échec qui terrorisait le héros stendhalien. Ne pas être aimé, d'accord, mais être refusé, jamais ! De la même manière, ça n'était pas l'idée de mourir qui faisait peur à Sorel, mais que cette mort puisse être honteuse. La gloire toujours. Mais la gloire de quoi ? Quelle bêtise tout ça. Si c'était pour finir la tête coupée, à quoi bon ? Et pourtant, malgré les raisonnements, rien n'y faisait, Émile échouait. ”

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 © Catherine Hélie
Éric Metzger, diplômé d'un master de lettres, est né en 1984. Il vit et travaille à Paris, d'abord dans l'émission Le petit journal puis désormais dans l'émission Quotidien.

La Citadelle est son quatrième roman. Les trois autres, La nuit des trente (2014), Adolphe a disparu (2017) et Les Orphée (2018) ont tous été publiés dans la collection L'Arpenteur de Gallimard.



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Si vous souhaitez découvrir les précédents romans de l'auteur, suivez les liens : 

Adolphe a disparu : ma chronique ici
Les Orphée : la chronique de Loupbouquin ici et celle d'Agathe the book ici

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