Des mirages plein les poches de Gilles Marchand : dérouler le fil des vies

Des mirages plein les poches
Paru Aux Forges de Vulcain - 144 pages


Cessons de se cacher. Ce n'est plus un secret pour personne de toute façon, Gilles Marchand est entré dans le palmarès de mes auteurs favoris. Ce que j'aime dans ses textes ce sont ces petites musiques de vie qui nous accompagnent au travers de ces histoires lumineuses, poétiques, tendres, profondes et pleine de fantaisie. Un regard sur le monde comme on en lit rarement. 


Maintenant que ma petite déclaration est faite en public, il est temps de vous parler de ce nouveau livre Des mirages plein les poches. Point de roman cette fois-ci mais un recueil de nouvelles pour autant de romans de vie, nous faisant passer par une multitude d’émotions, avec en ligne de fond une sorte de désenchantement, d'actes manqués, de rêves inaccessibles, mais de rêves toujours, parce que c’est aussi ce qui fait le sel de la vie.  

“ On ne détricote pas le monde. Même s'il gratte, on ne le détricote pas. Ce n'est pas une affaire de religion, ce n'est pas une question de morale. On ne le fait pas. Point. ”

Ouvrir Des mirages plein les poches c’est embarquer au cœur de la famille, de l’enfance et ses amitiés. Laisser Une odeur de soupe envahir vos narines, vous donner envie de caresser du plat de la main ses objets récupérés ou sauvés de votre enfance et vous rappeler aux doux souvenirs de ceux que vous aimez. Retrouver vos rêves de super-héros pour un sourire sur un visage. 
C'est aborder, avec toute la délicatesse que l'on connaît des écrits de Gilles, la différence, thème cher à l'auteur. Mais aussi, la paternité, la peur de l'après, de voir grandir son enfant, de le laisser voler de ces propres ailes, le rendre fier, en homme responsable. Et tant pis pour si c’est sans la débrouillardise de Robinson Crusoé, ou de Tom Hanks, pour un enfant, un parent braverait tout. Et nous, lecteur, on s’en attendrit autant qu’on en rit aux éclats lorsqu'il s'agit de lire ces notes de bas de pages complètement folles et douces créant une histoire dans l'histoire. 

C’est découvrir ces solitudes qui prennent aux tripes à vous en essorer le cœur. De ces moments qui se répètent inlassablement comme un refrain entre Un café et une guitare (qui n’en est peut-être pas une), un coin de rue et des espoirs. De ces histoires qu’on invente, ces objets qu’on accumule comme un moyen de combler le vide. 
Mais Des mirages plein les poches c’est aussi l’amour, car que serait la vie sans amour ? Même s’il est parfois douloureux à s'en noyer ou maladroit, comme les premiers émois. Les beaux slips ou les chaussures qui courent vite ne font pas tout. L’amour n’est pas un exploit sportif. Il demande de la patience, un peu de remise en ordre et quelques rappels. 

J'aurais pu vous raconter une à une ces quatorze nouvelles mais alors où serait la surprise, la découverte ? Et votre place à l’interprétation dans tout cela ? 
Le mieux est encore de vous laisser goûter leurs singularités, leur poésie qui constituent le socle de nos vies, de ces rêves et ces souvenirs dont nous sommes capitaine. Peut-être plus sombres, plus mélancoliques qu'Une bouche sans personne et Un funambule sur le sable mais toujours remplis d'humour. Cœur serré qui éclatera de joie à la page d'après. 
Comme des instants que nous pourrions glaner, assis sur un banc, à imaginer ces autres. Leurs vies. Leurs rêves. Leurs petites folies. Leurs blessures aussi. Qu'on tenterait d'apaiser à coup de demi quelque chose pour exister. D’amoncellement d'objets pour oublier les épreuves, la solitude. Ou tout autre symbole pour une vie, en couleur. 

“ C'est peu après le passage des deux demi-truites que j'ai remarqué la lumière dans les yeux de maman. Ça m'a rassuré parce que j'avais peur qu'elle s'en aille, qu'elle en ait marre de la bohème, qu'elle en ait marre des pauvres et qu'elle préfère les films avec des poursuites en belles voitures cuirées, des gadgets sophistiqués, des costumes bien repassés et des cheveux bien gominés, comme on n'en voit pas chez nous. Je pensais qu'elle aurait préféré voir un James Bond avec des méchants qui ne vivent qu'en URSS et que l'on finit toujours pas battre à la fin. Pour moi, ce 007 était un super héros pour adultes. Mais non, elle était contente d'être là, ça se voyait, elle a même ri. Pas avec la bouche, ça elle ne savait pas faire, mais avec les yeux. J'ai vu leur éclat et le bonheur qu'ils exprimaient. Elle était heureuse d'être là, de voir ce film, de voir cet homme. Il la faisait sourire et elle était heureuse. ”

Gilles Marchand parvient à détricoter la vie et ses épreuves pour en sortir toute la magie, et ce n'est pas anodin si la nouvelle d'entrée d'une poésie incroyable s'intitule Le fil. Sur lequel un homme tire. Ce fil que l'on tente aussi parfois de rembobiner, sans toujours trop savoir pourquoi. Le fil de la vie, des rêves et du monde. 

Si vous doutez que votre cœur bat encore, il est fort probable que ces nouvelles le réaniment, avec douceur. Encore plus en refermant ce livre sur cette dernière nouvelle qui noue la gorge et nous fait dire (ce fut en tout cas mon cas) : qu'importe que les rêves se concrétisent, l'important est de rêver. Encore.

Et ne passez pas à côté de la belle chronique (que j'ai hésité à voler) de Nicolas.

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