Einstein, le sexe et moi d’Olivier Liron : du jeu à la quête

Einstein le sexe et moi
Paru aux éditions Alma
200 pages

Top !
Quel auteur confirme son talent avec un deuxième roman fraîchement paru… dont le premier, déjà véritable coup de foudre, s’intitule Danse d’atomes d’or… Il est, il est ? Olivier Liron, bien sûr !
Imaginez cette introduction avec la voix de Julien Lepers (que je n’ai pas, je préfère préciser tout de suite…) parce qu’il est question dans ce nouveau roman de Questions pour un champion. Voire même d’un champion tout court. Silence sur le plateau, on enregistre !


En 2012, Olivier Liron – Autiste Asperger – participe à Questions pour un champion. Il s'est entraîné, a appris des milliers d'informations, trempé sa madeleine dans son coca, mis sa chemise fétiche.  Pas de pitié donc, à la guerre comme à la guerre, Olivier n’a pas l’intention de céder sa place et compte bien « déchirer la gueule » de Jean-Michel, Renée-Thérèse alias mamie Potiron, Caroline, et par la suite le big champion Michel.
Et la tension monte, on la ressent, on a envie d’appuyer sur le buzzer à mesure qu’il nous retranscrit le déroulé du jeu (alors qu’on n'a clairement pas la réponse !) . Mais questions après questions c’est la vie d’Olivier qui défile comme si un mot, un thème énoncé lui rappelait une partie de sa vie, de son passé, de ses souffrances aussi. Alors, il nous raconte à nous lecteurs, comme pour s’exorciser lui-même, ce qu’il a vécu depuis l’enfance. La violence des coups et des mots des autres gamins, son regard sur son corps dont il ne sait pas trop quoi faire, les souvenirs avec Josefa – sa grand-mère –, ses origines, ses parents avec lesquels les relations ne sont pas toujours simples. Mais aussi les premiers émois, la découverte du sexe, de l’amour. Animal ou poétique. Viscéral en tout cas. Un récit dans le récit donc pour aborder sa « différence », sa sensibilité, et sa singularité. Mais finalement, Olivier sera-t-il le super champion des champions ? Je ne vous en dis pas plus, découvrez-le. Dans tous les cas en refermant le livre, on pensera quoi qu’il en soit qu’il est un super champion !

“ La joie, le vert paradis, la douceur de l'enfance, ça, désolé, on repassera, je n'ai pas connu. Cela restera à jamais pour moi incompréhensible, cette violence. Ça marque au fer rouge. S'il n'y avait que les brimades, les blagues sur Forrest Gump et les insultes. On pourrait essayer d'oublier. Mais la façon dont les autres vous font comprendre votre différence, ça s'inscrit aussi dans le corps. J'ai dans mes tripes la mémoire de la différence qu'on m'a apprise, qu'on a tatouée dans ma chair. ”

J’ai grandi avec Questions pour un champion, je connais bien, c'était le rituel de mon grand-père chaque soir (et il était toujours à la maison).  Ça faisait travailler la mémoire, la culture, la rapidité disait-il. Il ne ratait aucune émission. Un silence religieux dans le salon. J'osais à peine bouger.  Il était super fort ! 
Jusqu’au jour où on arrête de regarder, parce qu’on n’a plus personne avec qui regarder… Mais je me souviens très bien… j’étais assise à ses côtés, les yeux exorbités, ça allait beaucoup trop vite pour moi. J’avais à peine le temps de comprendre le début de la phrase que le futur champion avait pris la main et les points… Un peu comme Olivier Liron qui à travers ce jeu télévisé prend une sacrée revanche sur le passé et la vie, je trouve. 

Si tout est loin d’être tendre dans ce récit très intime, Olivier Liron a cette capacité d'y intégrer de l’humour à foison (et la recette de la tartiflette !). On ne peut pas s’empêcher de rire au milieu de la gravité de la vie. Et sa force, c’est qu’à aucun moment, je n’ai ressenti cet humour comme un moyen de masquer quelque chose ou d’en rajouter. Il a cet humour sincère, Olivier Liron. Il ne cache rien, ni le dur, ni le moche, ni le beau, ni le tendre et encore moins l’ironie de la vie. On sent que ça boue à l’intérieur. Et on boue avec lui. Je lui disais en aparté que dans ce roman, il avait cette sorte d’honnêteté d’être honnête avec lui. Et cela renforce l’émotion et le choc. Être capable de faire cela est une chose rare, je crois. 
De ce retour en Enfer pour extraire tout ce qui l’a construit, mettre au grand jour le bancal de la société, des esprits, la difficulté de continuer à avancer lorsqu’on tente de vous écraser parce que vous êtes « différent » – ce dégueulis infâme dont est capable l’Homme – il l’ose avec un tel franc parlé, un tel humour et une telle poésie qu’il en relève de la véritable mise à nu. 

“ Quand on ne peut pas parler, on construit des forteresses. Ma forteresse à moi est faite de solitude et de colère. Ma forteresse à moi est faite de poésie et de silence. Ma forteresse à moi est fait d'un long hurlement. Ma forteresse à moi est imprenable. Et j'en suis le prisonnier. ”

Cependant, dans les ténèbres il y a sa lumière qui éclate, il y a les combats qui se gagnent et les revanches qui se prennent sur les autres et sur lui-même. Comme un grand doigt d’honneur fièrement dressé. Sortir des Enfers est possible. Bien sûr, il y aura encore des tempêtes, des combats à mener, probablement, mais il y aura toujours la poésie qui aidera à lutter. C’est cela Einstein, le sexe et moi. Et cette envie furieuse de dire « putain de bordel de merde, ça veut dire quoi différent ? Autiste, handicapé, vert, bleu ou rouge... Nous sommes juste ce qui nous composent, juste unique. Lui et vous et moi ».

Questions pour un champion raconté par Olivier Liron ressemble à une quête. Percutante, émouvante. Celle pour trouver sa place, celle pour se trouver soi-même avec sa singularité, dans un milieu parfois hostile. Celle de vivre. De danser. Et la mémoire, sa mémoire, y contribue.


Ce roman fait partie de la sélection des 68 premières fois.

Commentaires

  1. Sans doute le billet le plus convaincant parmi tous ceux que j'ai lus ! (Mais à force de lire des billets, ceci dit, je risque de n'avoir plus envie de le lire... le syndrome Petit pays ou Bojangles)

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    1. Oh bah alors là Delphine, je suis carrément touchée ! Merci.
      Je comprends, je suis un peu comme toi. Ce que je fais dans ces cas là c'est que je les garde pour plus tard, je les lis et en reparle quand l'euphorie générale c'est un peu calmée.

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  2. Danse d'atomes d'or m'attend depuis sa sortie. Je commencerai par ce titre-là...

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    1. Il est tellement sublime Danse d'atomes d'or. Je te souhaite de l'aimer autant que moi et d'avoir cette même envie après : poursuivre avec Einstein, le sexe et moi.

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