Gain de folie d’André Soleau : l'argent fait-il vraiment le bonheur ?


Nouvelle lecture régionale, marquante pour toutes les générations. Quelles soient issues de la région Hauts-de-France ou non d'ailleurs, Gain de Folie interroge sur notre société. Un premier roman qui a déjà reçu le prix ADAN et est en lice pour le prix de la ville de Mennecy aux côtés entre autres de Mademoiselle, à la folie ! ! et La fille du van. 


“ Les friches industrielles ont dénaturé tous nos repères. On a désormais peine à imaginer ces lieux de vie, ces milliers d’hommes, ces dizaines de femmes qui imprégnaient les murs de leurs rires, de leurs colères, de leurs histoires graveleuses. L’humidité suinte, la rouille se répand comme la lèpre, le silence vous glace, les toitures s’effondrent une à une, les masses noires balafrent les cités en attendant d’hypothétiques repreneurs. La trahison des cols blancs a figé les ouvriers, les a carbonisés. Ils ont été mis dans le même sac poubelle que les machines, démontées la nuit, vendues à la sauvette ou carrément abandonnées sur place. ”
Avesnes. Terre qui donna naissance au fondateur de New-Avesnes, désormais appelé New York. Avesnes. Dont Vauban construisit les fortifications. Avesnes. Terre qui vit passer Napoléon avant la bataille de Waterloo. Puis Avesnes, terre industrielle qui vit venir ses ouvriers de toutes les villes alentours. Puis Avesnes, terre qui vit poindre la crise et fermer ses industries. Qui voit son chômage grimper en flèche, oubliant toute l’histoire de la ville. Qui voit s’affronter les classes sociales. Comme un peu partout dans notre région. 
Mais c’est ici, à Avesnes-sur-Helpe que l’histoire d’André Soleau naît. Sur cette terre qu’il connaît bien, qui est la sienne. Jean Baudson est un ouvrier de l’industrie automobile. Dans cette région, où le bas de la ville abrite les classes ouvrières et le haut de la ville la belle bourgeoisie, les écarts se creusent, se sentent. Jean Baudson a connu les belles années, celles où l’industrie tournait à plein régime, où les fins de journées donnaient lieu à des retrouvailles chez Paulo avec les copains, pour trinquer ensemble. Une fois, deux fois, peut-être trois ou plus. Jusqu’à l’ivresse. Jusqu’au lendemain. 

Mais les temps ont changé, les amis sont partis ou morts. Et l’économie est sur le déclin. Pour se souvenir d’eux, Jean joue chaque semaine au loto leurs dates d’anniversaire. Un jour, une éclaircie semble percer dans le ciel gris avesnois. C’est le jackpot. Le gros lot. Les millions ! Mais comment réagit-on face à une telle somme ? Jean Baudson aura-t-il le courage d’empocher cette somme à faire tourner la tête ? L’éclaircie pourrait bien être de courte durée, les bruits se propagent, et l’appât du gain rend fou. Paf ! Tragédie ! André Soleau nous laisse dans l’incertitude du devenir de Jean. On fait un bon dans le temps, cinq ans plus tard. On passe dans le monde journalistique en pleine transformation. Un monde que je connais bien. Un monde où jeune et ancienne générations s’opposent. Le jeune Brissart aimerait bien prendre du grade et déterrer l’histoire de Baudson semble être une bonne façon d’arriver à ses fins. Alors l’enquête commence. Faire éclater la vérité, coûte que coûte. 
“ Comme chaque mercredi, je me suis payé un futur. J'ai tendu mes quatre euros que le patron de L'Oasis a échangés contre une clé magique, celle des rêves à bon marché. Son pouvoir ne dure jamais bien longtemps, à peine une nuit dans la peau d'un oiseau migrateur. Mais, prisonnier d'une vie insignifiante, orphelin de mes potes de galère, mes exultations sont, de toute manière, toujours éphémères.”

Ce sont des personnages fouillés, complexes, et dont Avesnes fait partie, qu’André Soleau nous dépeint. Naïfs parfois mais conscients de leur condition. Des personnages tiraillés par les sentiments du cœur et de la raison, par la peur et l’excitation. Par cette notion de perception de l’argent, de choc des classes. Pauvreté, richesse. C’est un coup de gueule posé sur le papier, qui trouve un écho particulier dans notre région qui a connu le textile, l’automobile, la sidérurgie avant de voir ses usines fermer les unes après les autres. Ce roman, forcément m’a parlé. Le milieu ouvrier, je le connais bien. Et le mélange des classes me met encore aujourd’hui mal à l’aise. De cette peur tenace, collante, d’être jugée, de ne pas être assez cultivée ou assez bien tout simplement. De cette honte parfois de venir de là parce que la société, les médias vous rappellent qu’il y a deux mondes parallèles qui jamais ne se croisent. 

Mais ce roman c’est aussi un focus sur les mutations sociales, sur la transformation des médias qu’André Soleau a bien connu puisqu’il fut journaliste. J’ai la sensation de prendre un peu le relais, par le biais de mon métier ou de cette passion. Il suffit de prendre cet article en exemple : le blog, pour parler d’un roman, auprès de lecteurs dispersés ici et là. 
“ J'ai été frappé par l'évolution des mentalités depuis mon retour. On n'entend que les mots solidarité, justice, égalité dans la bouche des gouvernants, or ils passent leur temps à opposer les riches et les pauvres, la fonction publique et le privé, les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, les parents et les enfants [...]
La misère ne délivre pas un brevet de vertu. C'est une forme vicieuse de surendettement mental parce qu'elle crée une vision déformée de l'inaccessible et pousse à la révolte. Sachez que les pauvres ne pas meilleurs que les riches, simplement ils ont moins les moyens de nuire à l'autre. ”
Et si j’ai facilement deviné les rebondissements qui compose le roman, là n'est pas le plus important. Non le plus important étant que Gain de folie pousse les consciences à s’interroger sur ces notions omniprésentes dans notre société et devrait selon moi être mis entre les mains des jeunes générations. Car même lorsqu’il semble faire nuit noire, une lumière peut scintiller. Au loin. 


Je partage ma région

Dans le cadre de ma chronique mensuelle sur la TV Régionale Wéo, André Soleau a accepté de répondre à quelques questions. Merci à lui d'avoir été si disponible pour échanger autour de son roman avant, pendant et après l'émission.



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