La fille du père de Laure Gouraige : s’émanciper par l’écriture

la fille du père
Paru aux éditions P.O.L en août 2020
144 pages


“ Nous allions nous fâcher. Je suis venue te voir et j'ai réclamé, papa, je souhaite vivre ma vie. Plus tard, as-tu répondu, tu as encore le temps. C'était aujourd'hui. Cet après-midi même, tu as regardé ta fille de trente ans et tu as soutenu que sa vie pouvait attendre. Quelle notion du temps as-tu ? Nous allions nous fâcher. Je ne supporte plus de t'observer empoigner ma liberté. ”

30 ans, l'âge de la raison ? De l'émancipation ? L'âge parfois de dire "merde". Stop. C'est en tout cas le cas de la narratrice, qui dans un long monologue, s'adresse au tyran. Au père. Son père. Celui qui depuis trente ans la somme d'être ceci, ou cela. La pousse vers une voie qu'il a choisi pour elle sans consentement. Sans discussion. Le moindre "mais" vecteur d'une parole qui culpabilisera ou enfoncera l'enfant, ou la jeune femme. « C'est pour ton bien »,  « si j'étais toi », le doigt du père pointé vers elle. Tel un Dieu paternel. Le  « Tu enfanteras dans la douleur  » remplacé par  « tu apprendras dans la douleur  ». Toute tracée. La perfection. La perfection à tout prix. Sans jamais parvenir à l'atteindre à ses yeux.

Depuis sa plus tendre enfance, elle vit sous la domination de ce père lettré qui l'oppresse, l'écrase, lui fait perdre toute confiance en elle. Petit pantin dont il tire les ficelles. Car seul lui sait ce qui est bien, beau, bon pour elle. La façonner pour qu'elle devienne un prolongement de lui.
Pourtant entre ces lignes, évidemment, il y a de l'amour. Un amour maladroit. Un amour tyrannique. Un amour en proie aux rapports de force. Jusqu'au jour où, elle ose dire stop.
Sans son consentement, elle envoie un manuscrit à divers maisons d'édition et peut-être même un second...L'écriture comme liberté. Comme moyen de s'émanciper. Intellectuellement. Mais là encore il est question d'un rapport de force. Avec lui et elle-même.

“ Je hais cette confusion, te reproche l'irréprochable. Seulement quelque chose ne va pas. Je ne vais pas. Je crois que c'est cela. Cette exception que tu as créée chez moi a fait de moi un être étranger à la vie. Je vois la vie. Je la vois; elle est posée devant moi et je suis au-dehors. Ne pas faire d'erreurs, éviter les erreurs, avoir peur des erreurs, me priver de choisir, me faire croire que je choisis, inéluctablement en faisant de moi un être de l'obéissance tu as rompu un lien entre moi et le monde. ”

Il n'est pas rare de lire des romans, plus ou moins autobiographiques, sur l'indifférence d'un parent ou la violence par les mots, les coups. C'est ici aussi le cas mais en sens inverse. La violence par l'exigence.
Dans ce premier roman, dont on devine largement la part autobiographique, Laure Gouraige détaille cette relation toxique, cette emprise. Sans détours, elle déroule les liens complexes. Car elle ne nie jamais son asservissement à ce père, qu’elle avait si peur de perdre en désobéissant. Et à mesure que le récit avance, se tend, il met en lumière toutes les contradictions qui dictent leurs actes. Leurs pensées. Leurs désirs.

La fille du père n'est pas un règlement de compte, il est un cri. Un moyen de faire la paix. Au moins avec elle-même.
Un très beau premier roman, certes pas très gai, mais extrêmement touchant et qui tient sa promesse stylistique de la première à la dernière page.



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La fille du père de Laure Gouraige paru aux éditions P.O.L 

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