Le soir du chien de Marie-Hélène Lafon : peindre les sentiments avec le corps

Le soir du chien
Paru en poche aux éditions Points - septembre 2003
160 pages

C'était un samedi en Arles, une virée entre filles. Nous entrions dans la belle librairie Actes Sud quand Sylvia nous parla de Marie-Hélène Lafon. Jamais lu. Encore une... Je ressors avec Le soir du chien. Elle avait su trouver les mots pour me convaincre mais surtout, je crois, déceler la sensibilité qui nous est commune, elle, Charlotte et moi. C'est fou comme il n'y a pas toujours besoin de dire pour savoir, comprendre et entendre. Les silences parlent. Murmurent. Et le roman de Marie-Hélène Lafon l'illustre à merveille. 


“ J'aimais les mois de janvier et de février, quand le cours des choses semble suspendu, hésitant devant la profusion d'une année nouvelle. Le temps est large. La lumière gagne, s'insinue aux lisières des soirs, des aubes pâles. Certains matins, la vraie neige d'hiver nous surprenait, puissante, immodest, souveraine et silencieuse. ”

Marlène est cette beauté sauvage. Silencieuse. Qui attire les regards et les jalousies. Elle est cette jeune femme élevée par ses grands-parents car sa mère n'en a pas voulu. Cette mère qui a reconstruit sa vie et eu deux autres enfants, des jumelles. 
Marlène a grandi et est partie vivre avec Laurent, loin de sa Normandie. Perchés dans une petite maison en haut de la vallée. Laurent pour qui Marlène a été une fulgurance. Une évidence. De ces amours naturelles. Ils font l'amour. En plein jour. Chair, langue, bouche, gémissements. 
Marlène dévore les livres qu'elles trouvent au bibliobus d'Aude. Une femme qui observe, ne s'approche jamais de Laurent. Parce qu'elle sent. Elle sent l'appel. 
Ils n'ont pas d'amis, juste Roland qui leur rend visite de temps à autre. Roland, le menuisier. Taiseux. Vivant seul avec sa chienne. Roland qui masquent ses fêlures. 

Un jour, Marlène se voit offrir un chiot par Roland. Il devient compagnon de marche. Elle part avec lui en promenade lorsque Laurent travaille sur les chantiers. Et puis un soir, c'est l'accident. Le chien est renversé. L'histoire bascule. Par une rencontre. Les certitudes vol en éclats, les gens parlent dans le village. Les rumeurs courent. Les cœurs, en silence, souffrent.

“ La nuit, je l'entendais se lever. Elle allait à la fenêtre. Elle écoutait le bruit que font en existant le vent, les eaux, les feuilles, les écorces, les cailloux, les fleurs. Elle humait le monde. Elle avait toujours aimé la nuit. Parfois elle sortait. Je restais les yeux ouverts, allongé dans le noir. Le corps noué, tendu, je la guettais. Elle était une bête furtive qui habitait ma maison. ”

Dans ce roman à plusieurs voix dont le narrateur principal reste Laurent, Marie-Hélène Lafon dépeint toutes les vies, tous les sentiments humains. Elle dit les silences qui crient parfois plus fort qu'une voix. Dans une langue simple, charnelle, précise et poétique, elle effleure avant de pénétrer totalement le cœur. Dans ces voix multiples se cachent et se révèlent les amours broyées, ceux qu'on n'ose formuler ou ceux qui s'embrasent d'un simple regard. Ceux qu'on laisse partir, non pas lâcheté mais par amour justement. 
Ces voix disent les parents perdus ou inexistants, les deuils qui brisent à jamais et dont on ne se relève pas. Elles disent ce que les autres racontent car c'est ainsi dans les villages. Elles disent ceux qui savent soutenir, tenir l'autre, dans les silences. Plus précieux que toute parole. Elles disent ces enveloppes vides, dévastées. Elles disent ces mots que l'on tait mais qui prennent toute la place et marquent. L'être, le cœur, l'espace, la chair. 

Je suis ressortie de cette lecture déboussolée, comme avec Charles Juliet, à la fois vidée et emplie. Je suis ressortie émerveillée par ces descriptions des paysages qu'elle peint comme on caresse une peau. Émerveillée par tant de beauté dans cette simplicité, par tant de douceur et de fatalité. Par ce je-ne-sais-quoi d'organique qui traverse sa plume. Ce pétrissage des mots que l'on perçoit minutieux.

“ Nous nous sommes laissés parce que le temps passait et que nous avions moins de désirs, et que tout avait été dit de ce qui peut l'être entre un homme et une femme quand ils n'ont d'autre projet commun que de se dire. ”

Le conseil était plus que judicieux, ma connaissance de Marie-Hélène Lafon ne fait que commencer.


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