Un singe à ma fenêtre d’Olivia Rosenthal : décortiquer les silences

 
Un singe à ma fenêtre
Paru aux éditions Verticales en août 2022 - 176 pages

Après être tombée sous le charme de la langue et de la vision d'Olivia Rosenthal dans Eloge des bâtards, me voilà de nouveau conquise avec Un singe à ma fenêtre. Les livres d'Olivia Rosenthal sont décidément de véritables objets de réflexion, oscillant entre philosophie, fiction et poésie.


Sais-tu précisément ce que tu caches ? Ce que tu dois cacher ? Ce que tu ne dois montrer sous aucun prétexte ? Ne risques-tu pas, en le montrant, de découvrir que ton secret n'est pas aussi extraordinaire et terrible que tu le pensais ? Est-ce pour qu'il reste toujours aussi encombrant et douloureux que tu continues à le cacher ?
Ou alors as-tu peur, en l'exposant, de t'effondrer ?

Alors qu'elle pensait partir recueillir les souvenirs et témoignages de victimes indirects du gaz sarin lors des attentats de Tokyo en 1995 par la secte Aum, c'est un tout autre chemin qui se dressera à elle. Au pays du soleil levant, la culture taiseuse, respectueuse est maîtresse.
La narratrice qui se confronte au singe, aux murs, aux scolopendres ou encore aux veuves noires, se confronte aussi à des mémoires vacillantes sur ce que tous appellent là-bas "accident". Des mémoires qui occultent ou refusent de dire. Des mémoires qui ont connu Hiroshima, Fukushima.
Qu'il s'agisse de témoins éloignés à ces attentats ou de personnes qui ont fréquenté la secte d'une manière ou d'une autre, tous ou presque trouvent le prétexte de s'échapper du sujet par le biais d'un autre. Un autre sujet bien souvent émouvant, éclairant qui dans une langue qui n'est parfois pas celle de la narratrice encore moins la leur donne à voir un Japon qui n'a pas tout à fait la quiétude dont est faite sa réputation. Un Japon d'aujourd'hui, en proie lui aussi à la peur. A l'oubli et au silence plutôt que la douleur.

Je me suis demandé si j'aurais pu être aussi lucide et aussi sincère que lui, si j'aurais osé formuler quelque chose d'aussi simple et d'aussi scandaleux à mes propres yeux, sur la faille contre laquelle ou plutôt grâce à laquelle on grandit, sur les traumatismes dont on souffre mais sans lesquels, puisqu'on les a traversés, on ne serait pas vraiment soi-même et qui à force d'être accolés à chacun de nos gestes, à chacune de nos phrases, à toutes nos pensées, finissent par être si constitutifs de nous-mêmes qu'on ne supporterait pas d'en être privés.

Le cerveau déciderait-il de lui-même de ce qu'il faut mettre en sommeil ? En menant ce projet, la narratrice elle-même ne chercherait-elle pas à s'échapper de sa propre mémoire ? Ses propres traumatismes ? Mais est-ce seulement la narratrice ? N'est-ce pas un "nous" qui chercherait dans nos quêtes à trouver les signes/singes que l'on souhaite voir ou au contraire à tisser une toile épaisse autour de ce que l'on préfère enfouir ?

Un singe à ma fenêtre interroge finement sur la mémoire, sur les traumatismes et les non-dits et autour d’eux le sentiment qui consiste à se dire que ce qui n’est pas formulé, n’existe pas. 
Dans ce roman à l'atmosphère étrange – comme dans Éloge des bâtards, Olivia Rosenthal poursuit la réflexion sur le rapport à la parole et à l’interprétation. Elle creuse autour de sujets qui nous constituent en profondeur, et que bien souvent nous ne cherchons pas à décrypter. Je crois que l'on peut presque dire que ses livres commencent souvent là où ceux des autres s'arrêtent.

L'art est comme un feu au milieu du village, un foyer dansant où les gens s'assemblent pour discuter, se retrouver, et donner aux morts la place qui leur revient, ni avec nous, ni contre nous, ni sans nous, présents d'une manière évanescente pour ne pas entraver notre liberté d'action. Nous œuvrons avec eux pour qu'ils ne pèsent pas trop et pour que nous ne passions pas non plus notre temps à les retenir. C'est un travail d'équilibre entre l'intérieur et l'extérieur, la construction délicate d'une relation.


Un singe à ma fenêtre d'Olivia Rosenthal paru aux éditions Verticales 

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