Toutes les femmes sauf une de Maria Pourchet : le poids d’un sexe et son héritage

Toutes les femmes sauf une
Paru chez Pauvert (Fayard) - 144 pages

Personne ne peut rester insensible à ce texte de Maria Pourchet. Qu'il soit aimé ou non, il ne laisse assurément personne indifférent. Toutes les femmes sauf une a reçu récemment l'un des trois prix SGDL Révélation et c'est, à mon sens, amplement mérité. 


« Adèle, le ventre noir dont tu viens a porté avant toi des douleurs sans prénom. »

Elle vient d'enfanter. Elle l'a appelé Adèle. Elle ne se souvient pas de l'accouchement. Elle était dans un état second. Mais dès lors qu'Adèle est là, à ses côtés, à ne pas dormir, à pleurer, parfois hurler, toutes les douleurs reviennent. Celle d'un corps qu'elle voit bousiller. Celle d'un cœur qui n'a connu que les fais pas ci, fais pas ça, on aurait presque envie d'ajouter Viens ici, mets-toi là / Attention prends pas froid / Ou sinon gare à toi / Mange ta soupe, allez, brosse toi les dents... vous connaissez la chanson. Mais Dutronc n’est rien comparé à sa mère à Elle. À ces femmes de la famille. Pour elle, c'était plus encore. On réfléchit avant de parler, T’as pas intérêt à me ramener un type, Tu feras ça quand tu auras ta vie, ta maison, Fous-moi le camp, T’es encore allée fouiller, piquer des choses, Regarde où tu mets les pieds, Tu fais exprès ? Ne réclame pas, Ne te fais pas remarquer, Tu la vois celle-là, T’avais qu’à travailler… 

Alors elle écrit parce que c’est tout ce qu’elle sait faire. La littérature comme refuge quand on n’a rien d’autre. Les mots qu’on griffonne à défaut de savoir les prononcer. Elle expulse, comme un second accouchement. Elle revisite ce passé, cette famille. Pour Adèle, pour sa construction. Pour qu’elle connaisse un jour ce qu’elle ne doit pas vivre, pas accepter. 
Être mère, elle n’est pas certaine de savoir faire. Comme sa mère avant elle qui n’était pas faite pour ça. Comprenez, pas faite pour Elle. 

« Alors j'ai peur de tout et je ne veux rien. Peur d'essayer, de parler, de me lier, comme elle disent. Pour ne pas échouer, je m'enferme. Pour ne pas choisir, je renonce, avant même de savoir à quoi. Je ne supporte personne, sinon pour la promesse d'une solitude plus parfaite, une fois claquée la porte sur leurs faces interrogées. Je suis comme ça Adèle, planquée. »

Ici la femme est au centre de tout, la mère nourricière, la mère tyran, la fille de la mère, la petite-fille de la mère de sa mère. La mère dans des milliers d’autres femmes. Les femmes qui portent le poids de la transmission, le poids social, le poids d’une recherche d’émancipation jamais acquise complètement. 
Ici l’homme est en filigrane, une ombre qui n’a pas sa place. Relégué au second plan par ces femmes tragiques qui pensent savoir, connaître, posséder en elles la force. Celle qu’Elle n’a pas. À leurs yeux. Car elle possède une force bien plus grande, celle des mots, de la littérature. Celle de vouloir s’échapper de cela « les femmes entre elles font l’objet de méprises. C’est pour ça ce foutoir, Adèle. Les hommes d’accord, les hommes sûrement. Mais la haine que les femmes vouent à leur genre, tu verras. » 

Alors grâce à Adèle, grâce à la douceur de sa naissance, grâce à la souffrance engendrée de sa naissance, elle (é)crie la maternité, le corps médical, l’absence de considération, le regard porté, la vengeance de femmes et leur jalousie. Laisser une trace. 
Si j’avoue avoir été parfois gênée par l’image donné de l’environnement médical, extrêmement dure, Toutes les femmes sauf une n’est pas un règlement de compte, il est une vision, une balafre, une naissance, un espoir, une prière pour une génération future. Il est un moyen d’extraire le mal, l’angoisse pour un bout de ciel bleu. Il contient le poids de l’héritage et sa violence.

« Je suis un loup presque perdu pour la ville. 
Au moins, Adèle, devrais-je savoir te garder. Les loups sont très bien, pour les leurs. Tu sais, des loups, j'en croise. Toujours seuls, toujours en ville, inratables, une fois sur deux ils écrivent. A priori dressés, gavés, mais ça saute aux yeux : le vide creusé par leur mère. Une faim hagarde les pousse alentour des maisons. Je voudrais approcher et leur dire : « Toi aussi tu manques de tout ? » Mais personne ne dit ça et l'on ne s'appelle pas entre nous. On se fait peur. On sait l'ampleur du gouffre, qu'aucun corps ne peut remplir. Alors on détale. »

J’ai corné les pages, j’ai eu envie d’apprendre certaines phrases par cœur, ces phrases qui renferment tant de justesse, qui viennent du ventre, nous collent au mur. Je l’ai lu d’un souffle. Coupé.  Si coupé que cela me fait dire que j’ai rarement eu l’occasion de lire un livre aussi fort, un livre qui ne tait rien. Aussi sauvage, brut que cru. Sans hiérarchie particulière, Maria Pourchet taille dans le vif pour créer un rempart. 
Ce livre ne prend pas aux tripes, non, il fouille, agrippe, tire. Incisif. Il n’attend pas que nous fassions le premier pas, il vient nous chercher, même planquer, il traque. Il fait sauter tous les verrous. Il nous met l’uppercut dont les femmes sont capables. Et ce dès la première page où se dessine l’évidence de la claque à venir. Celle qui vous fait dire « bordel ». L’évidence qu’on sera mis au tapis. Nous, femme, fille, petite-fille, mère ou future mère.

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