La nuit avec ma femme de Samuel Benchetrit : ce livre qui vous frappe le cœur

Paru en poche chez J'ai Lu - août 2017

J’ai démarré ce livre un jour où je pestais, parce que le Mistral s’était levé. Et quand même, passer les derniers jours de vacances avec du Mistral qui souffle à 85km/h … Mais j’étais bien loin d’imaginer que ce serait ce court livre qui me soufflerait. 


J’ai longtemps hésité avant de l’ouvrir. Depuis sa réception, j’ai tourné autour, beaucoup. Comme je le disais à une amie, difficile d’aborder une telle lecture, pour beaucoup de raisons. Parce que l’on connaît tous cette histoire tragique, parce qu’on sait ce que Benchetrit va aborder, qui il va aborder. Elle, lui, eux. Parce que Noir Désir m’a bercé, me berce encore souvent. J’ai pensé que si je lisais ce livre, il y aurait une forme de voyeurisme. Une action malsaine. Je l’ai ouvert quand même. Un 2 septembre. Les premiers mots, les premières pages m’ont fait dire « bordel » et tout un tas d’autres mots que je tairais. Tellement ceux qui se dessinaient là devant mes yeux étaient puissants. Et tristement beaux.

“ Les vivants font plus de signes aux morts que les morts aux vivants. On a des cloches et des fêtes. Vous ne faites rien pour nous. Enfin, je crois. Juste de la peine et occuper les souterrains. C’est quoi la différence entre la tristesse et la peine ? J’aime bien avoir de la peine. C’est de ta faute. Ça me rapproche de toi. ”
La nuit avec ma femme c’est un fantôme qui revient, au bord du lit de Samuel Benchetrit. Une nuit pour convoquer les souvenirs et les peines de et avec cette femme morte sous les coups d’un autre. Très vite, on s’aperçoit qu’il ne cherche pas à pointer du doigt le responsable de ce malheur. Et c’est tant mieux. Bien sûr il parlera de cette nuit où tout à basculer, de sa colère, du procès, de l’après. Comment faire autrement, il fait partie de l’histoire. Mais ce n’est, à mon sens, pas là le plus important. 
Ce qu’il veut vraiment c’est parler à Marie, de Marie, encore un peu. Avant que le temps n’efface les détails, les odeurs, les grains de peau, la peine aussi. Dire la vie avec elle et sans elle. Parler de leur fils, ce héros. De l’ex-femme de Cantat avec qui il a parfois gardé contact, avant son suicide. Retracer le passé, mettre des mots sur le présent, effleurer le futur car il arrivera quoi qu’il en soit. Évoquer les amours. Celles d’avant, celles d’après. Et le leur. Expliquer que toutes celles qui ont partagé sa vie après, devaient le prendre avec un bout d’elle. Car Marie lui a donné naissance une seconde fois. Lui a offert la vie à travers son amour.
“ J’ai peur. Plus rien ne fonctionne correctement. Le cœur. Le souffle. Les pas. Dans quelques minutes, je vais tuer mon fils. Une partie de lui. Et personne d’autre ne peut le faire. Pourquoi pas un étranger. Quelqu’un qu’il ne reverra jamais. Je vais le bousiller en quelques phrases. Moi, son père. Lui cogner le cœur. ”

On a pu lui reprocher la publication de ce livre autobiographique. De rouvrir une plaie, de s’exprimer lui, l’ex, sur cette sordide tragédie. Je trouve au contraire qu’il faut un courage immense pour le faire. Pour mettre des mots sur la douleur. Ecrire pour se remémorer. Pour respirer. Pour vivre. De façon désordonnée, avec pudeur, il balance des instantanés de pensées, de monologue, pose des questions dont il n'obtiendra jamais de réponses, avec une tendresse incommensurable. Mais ce livre c’est aussi un fracas. Car même s'il ne sombre jamais  à dans le pathos ou le larmoyant, sa prose nous prend aux tripes. Il y sublime l’absence et l’absente. Et en le lisant je n'ai pu m'empêcher de penser à ces deux vers qui composent une chanson de Saez "Comme un soleil ensorcelé / Tes yeux se perdent dans mes nuits" et qui auraient pu être écrits pour elle.
J'ai vécu ce livre comme une errance. Je l'ai d'ailleurs lu en arpentant la pièce, de long en large et même en rond. L'errance d’un homme qui cherche dans ses rêves la femme. D’un homme qui cherche l’oxygène. D'un homme qui tente de dire au revoir.

La nuit avec ma femme est tout simplement un temple bâti au nom de Marie Trintignant, un long poème qu’il dédie à celle qui ne l’a jamais quitté et qui était une amoureuse de l’amour. 
Lisez ce livre pour la beauté des mots, pour la beauté que Samuel Benchetrit a su donner à la douleur, pour la beauté de l’amour. 

“ Moi je savais te photographier. […] Tu étais le sujet de mon reportage.  Mon sujet préféré. Ma guerre. La une. Au bout d’un moment, je te demandais de t’appuyer contre un mur blanc. Je n’avais besoin d’aucune couleur. Qu’est-ce que je fais ? Rien. Reste comme ça. Je souris ? Oui. Oui, souris. Je peux fumer ? Oh oui, tu peux fumer aussi. Mets-toi de profil. Lequel ? Je m’en fous. Je croyais réinventer l’art et le monde. Je croyais que l’on avait déjà photographié des paysages et des machines, mais jamais un visage, non, j’étais le premier. Comment était-ce possible, qu’aucun homme n’ait eu l’idée avant moi. Personne n’avait donc aimé ? ”

Commentaires

  1. J'avoue ne pas l'avoir lu parce que j'avais peur que ce soit un peu impudique même de façon involontaire... pourtant il m'a été chaudement recommandé notamment par Harold Cobert.

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    1. C'est vrai qu'on peut se sentir gêné parfois parce que forcément très intime mais je me suis posée la question de savoir si ce livre évoquait une personne totalement inconnue, aurions-nous cette même appréhension ? Et je n'en suis pas certaine.
      Si jamais tu changes d'avis sur sa lecture, fais-le moi savoir (on s'arrangera :-))

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  2. Tu n'es pas la première à en parler ainsi, et je suis certaine qu'il est bouleversant de sincérité. Mais pour en revenir au début de ton billet, je crois que quand on tourne ainsi autour d'un livre, c'est que l'on devine qu'il renferme quelque chose qui réside aussi au plus profond de nous. Et on finit toujours par aller y voir de plus près...

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    1. Bouleversant de sincérité c'est exactement cela Delphine. Il n'y a pas un instant dans ce livre où l'on se dit qu'il en rajoute pour la forme ou la beauté. Tout vient du cœur, des tripes et c'est en cela que ce livre est une splendeur.
      Quant à ton analyse, elle est également tout à fait juste ... Et parfois il est important d'oser aller voir de plus près.

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  3. Je n'ai toujours pas lu cet auteur et j'aimerais commencé par ce livre... tu en parles bien en tous cas!

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  4. Il est dans ma pal, et j'ai encore plus envie de le sortir.

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