[Autour des livres] Interview d'Isabelle Desesquelles autour de ses romans

UnPur


J'ai découvert l'an dernier Isabelle Desesquelles avec le très envoûtant Je voudrais que la nuit me prenne et ce fut une véritable rencontre avec une plume, un univers, une femme. Après cette lecture, j'ai lu Les âmes et les enfants d'abord, un court livre plein de vérités sur nos rapports aux autres et surtout à ceux qui peuplent nos rues. Cette année est sorti UnPur (en lice pour le Prix Femina), je vous en parlais la semaine dernière.  J'appréhendais autant que j'avais hâte. De nouveau, Isabelle Desesquelles m'a émue, bousculée, transpercée. Immédiatement, j'ai eu envie de comprendre ce qui se cache derrière ce dernier livre, derrière ses thèmes qui lui sont chers – des thèmes qui ne sont pas sans rappeler ceux de Jean-Baptiste Andrea – et ce qui bouleverse Isabelle Desesquelles. Avec beaucoup de passion, elle a accepté de répondre à mes questions et vous verrez, ses réponses sont d'une sensibilité et d'une poésie incroyables.


“ L’enfance je la vois comme un torrent, une eau vive, son courant qu’aucun rocher n’arrête. Et cette lumière vivante qui courre entre les pierres, on peut la détourner, on peut boucher l’endroit d’où elle jaillit mais elle continuera de couler dans les entrailles de la terre, de l’irriguer, même si elle se transforme en une boue noire, une matière où j’écris ! Elle imprègne toutes les histoires qui sont là en moi tel une lave d’ombre. ”

Autour de vos romans


◆ De vous j’ai lu (pour le moment) Les âmes et les enfants d’abord, Je voudrais que la nuit me prenne (Prix Femina des Lycéens 2018) et UnPur. Dans chacun de ceux-là l’enfance est au centre de tout. Que représente-t-elle pour vous ?

I. Desesquelles : « Garder ce qui disparaît, c’est l’œuvre d’une vie. C’est notre enfance. »
J’ai souhaité que ces mots extraits d’UnPur figurent au dos du roman, et c’est vrai ils pourraient résumer chacun de mes livres. Les trois que vous avez déjà lu et les autres ! C’est un sillon que je creuse livre après livre et qui s’impose, me réclame de l’écrire encore, le temps de l’innocence... et la foudre- on peut dire aussi le destin - qui lui tombe dessus et calcine cet âge d’or. Mais bien plus encore que les cendres, ce sont les braises qui en résultent qui me passionnent et m’attirent irrésistiblement ; souffler dessus.


◆ J’irais même plus loin dans cette enfance. Vous y décrivez surtout cette fin qui survient avant l’âge. La fin forcée d’une innocence. Pouvez-vous nous en dire davantage, pourquoi est-elle aussi présente cette brisure ?

I. Desesquelles : L’enfance je la vois comme un torrent, une eau vive, son courant qu’aucun rocher n’arrête. Et cette lumière vivante qui courre entre les pierres, on peut la détourner, on peut boucher l’endroit d’où elle jaillit mais elle continuera de couler dans les entrailles de la terre, de l’irriguer, même si elle se transforme en une boue noire, une matière où j’écris ! Elle imprègne toutes les histoires qui sont là en moi tel une lave d’ombre. Et il y a ici encore quelque chose de brûlant. Une incandescence. Elle éclaire tout, même le plus sombre.
Quel Homme devient-on quand on vous arrache votre enfance ? Quelle autre vie inventer après ? UnPur est l’exploration de tout ce qu’un être a en lui de bon et de terrible et qu’il va convoquer pour faire rempart au mal. Il en appelle à des fragments d’imaginaires, de souvenirs, de fantasmes et d’espoirs. Et cette oscillation du plus heureux et du plus douloureux, d’un émerveillement et du tragique est, me semble t-il, le propre de l’existence. Là encore c’est une histoire de courant, de flux, sa fureur et son élan. Et il mène souvent à la mer.


◆ La mère a aussi un rôle majeur. Elle est souvent extravagante, solaire par sa vision de la vie, sa manière de se comporter face à ses enfants, de vouloir embellir leur enfance au risque peut-être d’enfouir ses propres désirs, ses propres rêves (je pense notamment à Je voudrais que la nuit me prenne et UnPur). Pourquoi ?

I. Desesquelles : La mère c’est un peu mon lac majeur ! D’ailleurs Quelques heures de fièvre, mon quatrième roman se déroule sur l’île du lac de Côme. Mais davantage encore, plusieurs de mes livres ont à faire avec la Méditerranée, ce n’est certes pas innocent d’avoir choisi pour l’un de mes livres le titre La mer l’emportera. Phonétiquement on me demande quasi systématiquement s’il s’agit de la mer avec un e ou sans e.
La figure de la mère dans mes livres est solaire oui et elle illumine tout, mais là encore elle porte son ombre et même si elle saute à pieds joints dedans comme une gamine, elle ne peut pas y échapper. Je la vois, la mère, dans un duel de chaque instant. Elle tient en joue sa mélancolie intrinsèque à grand renfort de joie, comme s’il ne l’avait pas quitté son rire d’enfant. Coûte que coûte elle est dans cet absolu des commencements. Ce n’est pas elle qui enfouit ses désirs et ses rêves, c’est la vie. Mais elle ne se laisse pas faire ! Elle est vaillante et je l’écris. Toujours avec elle.


◆  En tant que mère, y glissez-vous un peu de vous ?

I. Desesquelles : Un peu ? Beaucoup... À la folie !


“ Je ne cherche pas à savoir, à comprendre, à connaître la nature, je la ressens. Je la laisse entrer en moi, déposer son firmament et ses racines. ”

◆ Dans Les âmes et les enfants d’abord tout démarre à Venise, dans UnPur nous pourrions également dire que tout se déclenche là, place Saint-Marc également. Puis il y a Bari, Rome dont j’ai le souvenir d’une merveilleuse retranscription des Thermes de Caracalla. Des villes de lumières, majestueuses qui basculent dans l’obscurité. Et même s’il y a également d’autres lieux comme Yucatán ou Paris, l’Italie semble sans cesse vous appeler. Quelle importance à ce pays pour vous ?

I. Desesquelles : Peut-être j’y associe plus qu’à tout autre pays une beauté. Et la volupté de la beauté. Comme elle nous arrête sur elle, nous retient dans son filet, ses trouées pleines d’un chatoiement. Et c’est ce carambolage entre une splendeur et l’effroi - la mendiante dans Les âmes et les enfants d’abord, Le Gargouilleur dans UnPur – qui me lance dans l’écriture. J’y trouve ma voie, une voix pour ceux qui n’en ont pas.


◆ Il y a souvent aussi dans vos livres un lien profond avec la nature. Je voudrais que la nuit me prenne la fait vivre par des détails infiniment beaux et précieux quand UnPur la réduit parfois en cendres. Quel est votre rapport à elle ?

I. Desesquelles : Un rapport organique, charnel, souverain, qui m’est mystérieux et j’aime qu’il le reste. Je ne cherche pas à savoir, à comprendre, à connaître la nature, je la ressens. Je la laisse entrer en moi, déposer son firmament et ses racines.
Longtemps, je l’ai recherchée toujours un peu plus loin, dans les fonds de la Mer Rouge, au cœur de l’Amazonie et du Sahara. Et puis c’est elle finalement qui m’a trouvée. Nous vivons ensemble et j’écris face à la nature, une mer verte de petits chênes et de mousses. Et mes totems, des oliviers. Sous lesquels s’arrêtent les chevreuils.


◆ Vous vous interrogez sur l’indicible de la violence, de la perte et l’absolu de l’amour et des corps. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette volonté ou peut-être ce besoin, qu’est-ce qui vous captive dans ces thèmes ?

I. Desesquelles : Ce n’est pas une volonté, au contraire j’essaye de m’y soustraire avant chaque nouveau livre mais rien n’y fait j’y reviens toujours à ces thèmes que vous évoquez, ou plutôt ce sont eux qui m’ont épousée ! Plus qu’un besoin ils sont une évidence, et elle me réclame de ne pas y réfléchir mais de la réfléchir. Exactement comme votre question - je viens de la relire - elle contient beaucoup de ce qui me fonde. Une poignée de mots comme une étoile filante. On la guette, on l’espère, on l’inventerait presque, et elle laisse en nous un grand désir... à exaucer. Ce mot captive que vous avez, il me renvoie à un autre qui est peut-être le mot qui me dit le plus. Ravir. Tout à la fois, enchanter et enlever. À vous répondre je réalise que je me tiens là, et UnPur.


Autour de votre écriture et vos lectures


◆ Dans vos romans une atmosphère pesante se crée, happe le lecteur et en même temps, je trouve en tout cas, l’éblouie par la langue. Comment construisez-vous vos écrits ?

I. Desesquelles : J’aime bousculer le lecteur tout comme la lectrice que je suis aime à l’être. Et c’est dans ce, je dirai, remous – plus que remue – ménage intime que naît un trouble. Ce trouble est le meilleur du livre. Je n’y touche pas, je n’y reviens pas, il est là, il me réclame de l’écrire. Il me tends la main, j’écris pour cet instant où il advient. Il surgit dans le texte qui n’est pas un livre encore, il me souffle tout ce trouble. Mais avant il y a eu des centaines de pages et elles m’ont donné du fil à retordre ! Et avant encore des centaines d’heures à les accueillir en moi, les provoquer, les retenir ces images qui feront toute une histoire. Il y aura eu des dizaines et des dizaines de post-it jaune (obligatoirement jaune et carrés ) remplis fébrilement d’une écriture plus minuscule que minuscule. Le livre s’écrit là d’abord, et il est avec moi, à mon chevet quand je dors, et dans la poche... quand je cours, quand je nage ou quand je conduis, fais les courses, quand je marche ; je déambule bien plus dans ma tête que partout ailleurs. Ce sont de doux moments, intranquilles aussi, je cherche, et tant m’échappe, me résiste. Après avoir écrit Les hommes meurent les femmes vieillissent, cela s’est imposé : je suis une voleuse d’abandons.

“ Dès Je me souviens de tout, mon premier roman, à toute citation en exergue j’ai préféré que l’on découvre directement dans mes livres au détour d’une page, d’une scène, l’écrivain qui tel un écho continuait d’y résonner. ”

◆ Votre style musical et magnétique se veut aussi brut et sans concession. Sur ces deux derniers aspects justement, y a-t-il quelque chose de l’ordre du « devoir » face peut-être à une société qui a tendance à fermer les yeux sur la noirceur du monde ?

I. Desesquelles : Je ne suis pas une femme de devoir ! Mais la dérive, la tristesse d’une humanité inhumaine, elles m’atteignent oui. Et je ne peux pas fermer les yeux dessus, je ne le veux pas.
Je crois à l’empreinte d’un livre. Cette puissance là. Pas au livre pansement. À fouiller une blessure, on mue, on continue. On est plus animal, plus sauvage, on est soi. Et ce livre qui contient ce que l’on ignore encore a le droit d’être exigeant car une fois refermé, il demeure. C’est là – et néanmoins modestement ! – où je veux écrire, là que je lis aussi.


◆ La littérature est présente partout dans vos écrits, Rimbaud, Hugo… Quelle lectrice êtes-vous Isabelle ? Et quelles sont vos références ?

I. Desesquelles : Rimbaud, Hugo, oui et Baudelaire, et Tolstoi, Dickens, et Fitzgerald, et Faulkner. Sans oublier la matrice : Brontë. Et le tout dernier découvert : Wagamese. Je suis une lectrice avide et gourmande, goinfre même. Et je n’en ai jamais assez. Je lis comme je respire. Lire me procure un repos bien plus que le sommeil. Et des songes. Quant ils deviennent obsession, au point de prendre toute la place, je leur cède d’être un Il était une fois qui ne sera pas que le mien mais aussi, je l’espère, de possibles lecteurs.
Dès Je me souviens de tout, mon premier roman, à toute citation en exergue j’ai préféré que l’on découvre directement dans mes livres au détour d’une page, d’une scène, l’écrivain qui tel un écho continuait d’y résonner.
Tout les livres lus depuis mes huit ans je les vois comme un phare. Et dans la mer agitée ( notez qu’à mer je n’ai pas mis de e !) ce phare fait que je ne vais pas m’échouer, je peux bien affronter tous les récifs ! J’atteindrai à un rivage, le mot fin, qui est un début, celui de la vie d’un livre, entre nos mains, les lecteurs.

Avant d'être écrivaine, Isabelle Desesquelles a travaillé dans le domaine de la communication et de la production pour le cinéma et la télévision. Elle a ensuite changé de voie et pour se consacrer aux livres en dirigeant une libraire sur Paris puis Toulouse. Isabelle Desesquelles a également fondé une résidence d'écrivains : la maison De Pure Fiction.
Elle est aujourd'hui l'auteure de dix romans et récit ainsi que de trois livres pour la jeunesse. En 2018, son roman Je voudrais que la nuit me prenne obtient le Prix Femina des lycéens. UnPur est en lice pour le Prix Femina.

Commentaires

  1. Elle cite Wagamese :-D comment résister?
    "Je voudrais que la nuit me prenne" est en poche... je sais ce qu'il me reste à faire.

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