[Autour des livres] Interview de Jean-Baptiste Andrea pour "Cent millions d'années et un jour" ainsi que "Ma reine"

Cent millions d'années et un jour
© Ed Alcock

La semaine dernière je vous parlais de mon coup de cœur pour Cent millions d'années et un jour. Après Ma reine, que j'avais dévoré et adoré, ce nouveau roman confirme le talent de Jean-Baptiste. J'ai une nouvelle fois été transportée par son univers et son regard sur l'Homme et le monde. Un regard sincère, passionné. À l'image de l'homme que j'ai pu rencontrer à plusieurs reprises.
Je le remercie une nouvelle fois chaleureusement d'avoir accepté de répondre à mes quelques questions autour de son nouveau roman et de ces thèmes qui parcourent ce dernier ainsi que Ma reine. 


Autour de tes romans

Avant d’aborder les grands thèmes de tes romans je souhaiterais d’abord évoquer ton nouveau roman, Cent millions d’années et un jour.

Comment est né ce roman ? Où as-tu puisé l’idée de la montagne, de la paléontologie? D’ailleurs, pourquoi un personnage paléontologue ?

J-B Andrea : C’est désespérément simple. Je suis passionné de montagne, et quand j’étais enfant, je voulais être paléontologue. Encore fallait-il marier les deux univers. Comme souvent quand j’écris, l’idée m’est venue d’un coup, à force de réfléchir, souvent à d’autres choses. Évidemment, ce n’est pas un roman pour paléontologues ou amateurs du sujet. Mais le métier me fascine, car un paléontologue fait forcément des rêves immenses. Nous rêvons tous trop petit.


◆ Il y a ce personnage-chiffon dans ton roman : Youri. Une marionnette qui s’anime sous les doigts de Peter. Peux-tu nous parler un peu de lui ?

J-B Andrea : Hmm, Youri est plein de mystère, et je préfère le lui laisser.


◆ Les paysages se ressentent si fort à la lecture que je me demandais… as-tu arpenté cette région et ces montagnes dans lesquelles résonnent « la présence du diable » ?

J-B Andrea : Dès que je peux, je passe du temps en montagne. Je n’aurais pas pu en parler comme ça sans en avoir l’expérience. Mais pour ma part, j’y ressens plutôt une présence divine. Pas au sens dogmatique, religieux du terme, plutôt comme une force mystique extrêmement positive.


◆ L’enfance est partout dans ce récit comme dans Ma reine d’ailleurs à la différence qu’ici tu choisis un personnage adulte. Il y a l’enfance à travers les souvenirs qui refont surface, à travers ce métier qui fascinait Stan enfant. Que cherches-tu à puiser dans cette période ?

J-B Andrea : L’enfance, c’est le moment où l’on cherche la cause que l’on défendra toute sa vie, ou qu’on abandonnera. Elle est cruciale. On comprend un adulte à l’enfant qu’il a été. Je ne m’intéresse pas à l’enfance en tant que tel, comme phénomène isolé, comme une sorte d’âge d’or. Elle ne m’intéresse qu’en rapport avec l’âge adulte, comme continuité.

“ Si je pouvais m’injecter la nature dans les veines je le ferais. J’adorerais vivre une expérience chamanique, sortir de mon corps et devenir nature. ”

Ma reine est incontestablement un roman d’apprentissage, d’amour aussi et j’ai ce sentiment, mais peut-être que je me trompe, que Cent millions d’années et un jour en est un également à sa manière : une quête de soi, l’apprentissage des épreuves et l’amour d’un lieu, d’une mère ?

J-B Andrea : Tu as tout à fait raison. J’irais presque jusqu’à dire « À quoi bon raconter une histoire si ce n’est pas celle d’un apprentissage? » Si un héros - et le lecteur à travers lui - ne change pas au fil de la lecture, et n’est pas transformé à la fin du livre ?


◆ Dans tes deux romans, les parents ont un rôle essentiel même s’ils ne sont jamais les personnages principaux. Qu’ils soient bons ou mauvais, ils sont des déclencheurs. Peux-tu nous en dire plus ?

J-B Andrea : C’est du ressort de la psychanalyse… Je m’aperçois que je parle beaucoup de parents compliqués, qui retiennent leurs enfants plutôt que de les faire avancer. Or, mon enfance a été l’opposé de ça. Je mesure la chance que j’ai eue, et il me paraît important de parler de ce qui ne l’ont pas eue. C’est facile de condamner quelqu’un, de coller une étiquette « délinquant », « fou », « ennemi » sur quelqu’un. Mais il faut regarder ce qu’il y a eu avant. Pas pour tout excuser, mais pour comprendre, et pour protéger les enfants qui viendront.


J’aimerais aborder un thème qui m’a sauté aux yeux lors de mes lectures, c’est la violence... Une violence sourde, sournoise, enfouie… Elle est peut-être moins explicite dans Ma reine ou apparaît davantage entre les lignes mais elle est clairement identifiée dans ce nouveau roman. Pourquoi ce sujet, qui touche d’ailleurs à l’enfance ?

J-B Andrea : Ça rejoint la question précédente. Il n’y a aucune forme de violence acceptable. Mais celle faite à des êtres qui ne peuvent pas se défendre est la plus lâche, la plus inacceptable des inacceptables. Pour autant, comme dans Ma reine, ce n’est pas le sujet de ce roman. Mon propos est plutôt de dire « la violence existe, comment aller de l’avant malgré elle? »


◆ Et la fierté, n’est-elle pas aussi importante ? Shell (le personnage de Ma reine) souhaite partir faire la guerre pour montrer qu’il est un homme et rendre fiers ses parents ; Stan quant à lui, même s’il n’a pas suivi la voie que son père aurait voulu le voir prendre, il a cherché je crois toute sa vie une marque de reconnaissance…

J-B Andrea : La fierté, ou plus exactement cette force vitale en nous qui n’est ni nos parents, ni la société, et qui peut parfois nous permettre de dire non au déterminisme, à ce que nous sommes programmés pour faire. Fierté au sens d’élan vital. Dans Cent millions d’années…, je ne dirais pas que Stan adulte veut plaire à son père. Il s’en est au contraire, enfin, affranchi, alors qu’enfant il était totalement sous la coupe de cet homme qu’il détestait et  dont il désirait malgré tout l’amour. Si tant est qu’on puisse complètement s’affranchir de ses parents, bien sûr.

“ J’essaie de fusionner avec un personnage, il n’est pas moi mais il est moi, c’est du ressort de la transe, presque. J’essaie de disparaître pour laisser parler ce personnage. ”

◆ Il y a la solitude aussi qui est présente. Shell par ce qui le différencie des autres, par sa fuite et Stan par ces démons ou fantômes qui le hantent. Des solitudes voulues mais qui se comblent, se partagent au gré des rencontres humaines mais également minérales ou animales. Que représente-t-elle pour toi cette solitude ?

J-B Andrea : Sujet complexe pour moi… J’aime la solitude, je l’offre donc à mes héros. Elle est créative. Quand on écrit, c’est un exercice très solitaire. C’est difficile pour les gens qui nous entourent. Je jongle avec la solitude comme avec un objet brûlant.


◆ La nature est partout également. Avec Ma reine il y a les parfums de la Provence, la chaleur qui réchauffe et accable, avec Cent millions d’années et un jour il y a le froid qui écrase, le blanc immaculé de la montagne, la roche, le vert séché puis recouvert. Quel lien entretiens-tu avec la nature ? A-t-elle un rapport avec la quête de liberté qui se dégage de tes récits ?

J-B Andrea : Si je pouvais m’injecter la nature dans les veines je le ferais. J’adorerais vivre une expérience chamanique, sortir de mon corps et devenir nature. Voilà mon rapport avec elle. La nature, c’est un fleuve de vie gigantesque qui coule autour de nous. Il suffit de coller le nez sur un brin d’herbe pour s’y baigner.


◆ Je voudrais revenir sur les périodes dans lesquelles se situent tes romans. L’un se déroule dans les années soixante, l’autre au le milieu des années cinquante. Est-ce une volonté de ne pas ancrer tes récits dans notre monde actuel ? Pourquoi choisis-tu ces époques ?

J-B Andrea : Dans le cas de Cent millions d’années et un jour, c’est parce que je voulais que les héros soient vraiment isolés en montagne. Pas question qu’un hélicoptère vienne les secourir, pas question d’envoyer de signaux GPS, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Comme dans Ma reine, remonter le temps permet tout simplement de se concentrer sur l’humain en s’affranchissant de la béquille de la technologie. J’aime aussi écrire dans le passé car le présent, nous en sommes saturés. Remarque, je pourrais essayer l’avenir…


Autour de ton écriture et de tes références

◆ Dans la vie tu es aussi scénariste et réalisateur, ce métier joue-t-il un rôle ou est-il présent lors de l’écriture de tes romans ? Cherches-tu à instaurer cette ambiance cinématographique ?

J-B Andrea : J’ai laissé le cinéma derrière moi, car la littérature m’offre beaucoup plus de liberté. Je n’essaie pas d’y retourner, et je ne pense pas du tout au cinéma quand j’écris. Mais le cinéma a été une merveilleuse école, très exigeante. il doit être là dans mon écriture, de manière inconsciente.


◆ Il y a une forme d’onirisme dans tes romans par certains aspects du récit mais aussi par la poésie qui traverse ton écriture. Comment écris-tu, Jean-Baptiste ?

J-B Andrea : En souffrant, c’est sûr. J’essaie de fusionner avec un personnage, il n’est pas moi mais il est moi, c’est du ressort de la transe, presque. J’essaie de disparaître pour laisser parler ce personnage.


◆ La question la plus simple… quelles sont tes références (littéraires, cinématographiques ou même musicales car je crois savoir que la musique a une grande place en toi aussi), celles qui t’inspirent ou te transportent ?

J-B Andrea : Non c’est la question la plus dure! Tout ce qui me touche m’inspire. La littérature, la musique en effet (j’adore la musique classique et le métal, ce qui déroute souvent les gens) mais aussi la peinture, l’architecture, la mode même. Je puise dans tout, je prends comme un (gentil) vampire l’énergie où je la trouve. Concrètement je lis vraiment de tout. Sous la torture, j’avouerais un faible pour la littérature italienne et américaine. Mais ça me paraît quand même réducteur, c’est juste que je n’ai pas le temps d’explorer toutes les littératures du monde.


        

Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. Réalisateur et scénariste il est aujourd'hui l'auteur de ces deux romans. Son premier roman, Ma reine, a fait partie de la belle sélection des 68 premières fois qui tend à promouvoir les primo-romanciers et insérer la littérature en milieu carcérale. Il a également reçu le Prix Femina des Lycéens 2017. 

Commentaires

  1. Et il fait partie aussi des 68 pour Cent millions d'années et un jour ... merci pour c

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés