Ma reine de Jean-Baptiste Andrea : la petite parenthèse onirique


Jean-Baptiste Andrea
Paru aux éditions L'Iconoclaste
240 pages

Après toutes ces lectures remuantes et une dernière plus que mitigée, j’avais envie de m’offrir un joli conte en guise de lecture. Oui bon, je n’avais lu aucun avis sur ce roman pour justement ne pas être influencée. Et si conte correspond à merveille à Ma reine, joli n’est cependant pas vraiment le terme approprié car derrière l’aventure de cet enfant surnommé Shell (à cause de son blouson Shell justement), se cache un sujet bien plus profond. 


Vallée de l’Asse en Provence, Shell a 12 ans et vit avec ses parents dans une station-service. Il ne va plus à l’école car à l’école ça ne fonctionne pas. Il ne s’adapte pas. Il n’arrive pas à apprendre ce que ses professeurs lui enseignent. Un jour, dans les C de la station (parce que le W est tombé), il manque de mettre le feu en allumant une cigarette. Pour ses parents s’en est trop. Il faut envoyer Shell en ville, ailleurs, là où le monde sera adapté à lui. Là où on pourra le prendre en charge. 
Pour prouver qu’il est un homme et entrevoir un peu de fierté dans les yeux de ses proches, Shell décide de s’enfuir pour aller faire la guerre. Mais la guerre c’est loin. Et il a oublié la moitié de ses affaires. Nous sommes en 1965 et sur le plateau qui dessert la vallée nulle guerre à l’horizon. Seuls les rochers se dressent devant lui, les champs à perte de vue et une petite fille, blonde, belle comme le soleil mais aux yeux sombres comme les ténèbres. Elle apparaît puis disparaît comme un souffle. Parce que voyez-vous Viviane est une reine. Subjugué par la belle, il va découvrir à ses côtés tout un monde mi réel, mi rêvé et se mettre en quatre pour la satisfaire. Naissance d’une amitié, d’un amour, d’un désir. Mais l’histoire si belle qui se dessine sous nos yeux risque fort de prendre une toute autre tournure…  

“ Tout s'est mis à tourner. Je ne savais plus ce qui était le haut et ce qui était le bas. Le sentier a rétréci sous mes pieds, il est rentré dans la parou et je me suis plaqué contre elle de toutes mes forces. J'avais la figure mouillé, froid, chaud, envie de vomir. J'avais peur de tomber mais une voix me disait que tout irait bien, que je n'avais qu'à sauter et que, comme ça, je n'aurais plus jamais, jamais peur de rien. Plus personne ne m'emmènerait, plus personne ne m'appellerait imbécile.”

Dans ce roman aux allures de conte, Jean-Baptiste Andrea façonne avec habilité les paysages de Provence, où les odeurs se mêlent à la chaleur de l’été. Où douceur et aridité se confondent. Et c’est aussi le cas de ses personnages qui côtoient encore l’enfance et sa douceur en même temps que le cœur aride des autres. Car vous l’aurez bien compris Shell est un enfant différent, qui n’est pas sans nous rappelé d’une certaine manière Stradi dans le roman de Gilles Marchand. Sa différence pourrait être assimilée à de la stupidité selon certains. Aujourd’hui, nous l’assimilerions à de l’autisme mais n’oublions pas le récit se déroule en 1965 … Quant à Viviane derrière sa belle chevelure dorée et son gilet bleu, il est fort probable qu’elle cache une souffrance tatouée sur sa peau laiteuse. Il est là le sujet profond que cache Ma reine, il est là et il est merveilleusement bien travaillé par la plume de Jean-Baptiste Andrea qui l’espace de 220 pages devient Shell. Il est sa voix. 
“ Je me suis réveillé en sueur, l'aube escaladait doucement le mur face au lit que Matti m'avait arrangé dans la pièce principale. Je ne me souvenais plus de mon rêve mais ma mère me manquait, alors je l'ai imaginée, je l'ai serrée contre moi en attendant que le jour se lève. Et même là j'ai encore attendu, histoire d'être complètement certain que la lumière avait chassé tous les montres. Mais c'est ça qui est fort avec les monstres, ils savent toujours se cacher là où on ne les attend pas. ”
Rédigé à la première personne, on a réellement le sentiment de lire un récit écrit de la main d’un enfant de douze ans, avec tout l’humour, toute l’innocence et toutes les fêlures de cet âge, sa différence en plus. La fragilité qui transparaît de la première à la dernière page m’a littéralement embarqué et émue, à tel point que régulièrement je disais à Monsieur « écoute cette sensibilité, cette sagesse » et je me mettais à lui lire un passage qui emplissait mon cœur d’une émotion toute particulière. Cette thématique et cette prise de position d’écrire avec le « je » auraient pu vite laisser place aux mièvreries, et pourtant Jean-Baptiste Andrea a su maîtriser distance et implication pour faire de ce récit onirique un joli roman initiatique ou peut-être même une fable marquante. 
“ On voyait à peine où on mettait les pieds. C'était le noir des hauts plateaux, tellement profond que rien n'existait entre les éclairs, rien d'autre que nous deux. Et même nous deux dans une telle nuit, c'était facile de croire qu'on n'était pas vraiment là, qu'on s'inventait l'un l'autre pour être heureux. ”
Et même s’il n’est pas un grand et beau coup de cœur - peut-être parce qu’avant lui j’ai découvert ce funambule qui m’a bouleversée aux larmes par sa poésie et sa tendresse à haut niveau - il reste un premier roman qui méritait bien le prix du premier roman, le prix Femina des lycéens et qui mérite également toute notre attention.

Vous pouvez retrouver également l'avis de Virginie (Les lectures du mouton) ici qui a également aimé ce livre même s'il lui a manqué un petit quelque chose pour en faire un coup de cœur.


Commentaires

  1. Je l'ai bien aimé celui-ci aussi, je crois d'ailleurs que c'est mon préféré sur cette sélection des 68 de la rentrée de septembre.

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