Le livre d'Amray de Yahia Belaskri : la poésie comme arme de liberté

Le livre d'Amray
Paru aux éditions Zulma - mai 2018
144 pages

J'ai rencontré l'auteur un soir d'octobre il me semble, lors d'une présentation de la maison d'édition Zulma à Paris. Durant la soirée, il nous a lu quelques extraits de ce roman, Le livre d'Amray. Je me souviens avoir ressenti des frissons. Je me souviens m'être dit qu'il me fallait ce roman. La semaine d'après, je passais en librairie. Les mois se sont écoulés jusqu'à ce jour de mai. 


Si vous espérez lire un doux conte oriental dans lequel tout fini bien à la fin, oubliez. Car dans ce roman, Yahia Belaskri déploie sa voix à travers un jeune homme qui connaîtra trop vite l'âge adulte.

“ Rappelez-vous de moi, le fou qui hante vos esprits et vos mémoires. Je ne vous céderai rien de ce qui m'appartient, de ce qui me fut transmis par mes ancêtres. Vous les avez vaincus, enfouis dans des gouffres, jetés aux oubliettes. J'interrogerai leurs ossements, qu'ils content leur récit et dévoilent vos méfaits. Je ne vous céderai rien non plus de la découverte du monde, ses attraits comme ses atours. Vous m'avez cru mort, je suis vivant. Vous avez sous-estimé l'amour car il vous est inconnu. Vous ne connaissez que brutalité et cruauté. Ma joie est là car tout se sait et votre félonie a été éventée. Je suis Amray, amour du monde et de ses mystères. ”

Il se prénomme Amray, l'amoureux en français, fils lointain d'Augustin et de la Kahina - femme guerrière. Amray, le poète qui jamais ne laissera la domination de l'homme le faire plier.
Il est né dans les hauts-plateaux, en temps de guerre. D'oppression. Enfant, il étudie en compagnie de ses amis Paco, Shlomo et Octavia dont il tombera éperdument amoureux. Mais contrairement à lui, ils ne sont pas d'ici, comprenez qu'ils sont d'autres origines même s'ils sont nés sur cette terre que l'on devine être l'Algérie. Alors ils partiront, tour à tour, avant que le sang coule.
Amray grandit dans cette tension, celle que son père a bien connu par deux guerres. Il avait dix-huit à peine lorsqu'il a été mobilisé. Il décrit cette famille et cette enfance qui ne connaîtront que trop peu les temps de paix. L'Horreur est partout. Les canons sont de chair. Le froid et la faim saisissent les corps. Les français en viendront à humilier, oubliant qu'ils ont un jour combattu côte à côte. 
Il décrit le poids de l'héritage, les coutumes où les femmes sont mariées et enfantées à peine les seins poussés. Les mères, à travers celle d'Amray, résignée et courageuse. 
Il nous entraîne dans cette vaine quête de liberté. Cette illusion folle donnée aux Hommes. La liberté à travers la religion, la servitude, le nationalisme forcée. Il nous entraîne dans sa vie d'adolescent, d'homme, de mari puis de père. Dans sa fuite, son exil intérieur. Dans cette folie des êtres et de l'amour.

“ Tu vois ce qu'ils ont fait de nous ? Ouvre les yeux. Ils ont pris nos corps et les ont flagellés. Ils ont entravé nos mains et ligotés nos jambes. Ils nous ont bâillonnés. Dans nos ventres ils ont creusé des gouffres. Ils ont pris nos vies et broyés nos cœurs. Même notre air, ils l'ont pollué. Ah ! Nos mots ! Ne les ont-ils pas pervertis ? Ils ont arraché notre verbe et soufflé la haine dans nos veines. Ils ont même affolé les poètes. Que reste-t-il ? Dis-moi ce qu'il nous reste. Leurs mensonges comme autant de plaies. Leurs allégories comme autant de dagues plantées. Il restera leurs meurtrissures, il restera nos cicatrices, la souillure qu'ils ont semée. ”

Oscillant entre le réalisme et la symbolique, Yahia Belaskri hurle sa colère contre l'intégrisme, la violence, l'étroitesse des esprits. Il pousse un cri immense contre la religion toute puissante, contre l'oppression, l'intolérance. Il nous livre à travers un roman initiatique et onirique toute la noirceur du monde, l'obscurité sans fin provoquée par la main et l'idée de l'Homme. Mais dans ces pages de descente aux Enfers qui prennent vie sous nos yeux, il porte les messages essentiels que sont la liberté sous toutes ses formes et l'ouverture : l'ouverture sur le monde, l'ouverture par les mots et le cœur.
J'ai été totalement bluffée par le souffle, la langue et l'esprit qui habitent ce roman. Par cette rage salutaire portée par une poésie infinie. Celle que l'on brandit comme une arme, car elle est certainement la plus belle, la plus saine et la plus noble qui puisse exister.

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