Un océan, deux mers, trois continents de Wilfried N’Sondé : le destin hors du commun d’un prêtre africain

Un océan deux mers trois continents
Paru aux éditions Actes Sud - 272 pages

Je me souviens lors de mon voyage à Rome avoir pénétré dans la superbe basilique Santa Maria Maggiore, un monument architectural d'une incroyable beauté (qu'est-ce qui n'est pas beau à Rome me direz-vous, soit) dans laquelle un buste en marbre noir représente Dom Antonio Manuel ou plutôt Nsaku Ne Vunda. Qui est-il ? C'est ce que Wilfried N'Sondé s'attache à nous conter dans cette biographie romancée qu’est Un océan, deux mers, trois continents.


“ Pour mettre en valeur le Nouveau Monde et en tirer un maximum de profit furent inventées en Europe des idées insensées, d'une violence inouïe, un raisonnement abject de hiérarchisation des êtres humains selon une échelle qui en reléguait certains au rang d'animal : le racisme et son vocabulaire réducteur et infamant. Un système qui aboutit à la déshumanisation de mes frères bakongos et de l'ensemble des peuples du continent africain au sud du Sahara, dégradés au statut de masse indifférenciée définie selon une couleur, et de réservoir inépuisable de main-d'oeuvre bon marché.”

Nsaku Ne Vunda est né en 1583 à Boko, dans un village peuplé de vieilles légendes où la place de la femme est primordiale. Orphelin, il est recueilli par une famille qui l’enverra à l’école des missionnaires. Très tôt, l’évidence se dessine. Il deviendra prêtre sur sa terre natale. Une terre qui voit son peuple souffrir de plus en plus depuis que le pays traite avec les Portugais. Une terre où l’esclavagisme se répand comme la peste pour quelques richesses.
Nsaku Ne Vunda rebaptisé Dom Antonio Manuel fait beaucoup parler de lui. Lui qui n’a jamais quitté son village va bientôt voir son destin basculer lorsque le roi Alfonso II le missionne pour devenir ambassadeur au Vatican et rapporter l’ignominie instaurée par Alfonso Ier. 

Alors qu’il embarque sur Le Vent Paraclet, le prête va s’apercevoir que la cale du bateau est remplie d’esclaves destinés à être revendus au Brésil. Rapidement il déchante. Se demande comment le roi a pu le faire embarquer sur un tel navire rempli de semblables maltraités, violés, battus, parfois jusqu’à la mort. Parfois pour l’exemple. Que cela serve de leçon à quiconque oserait défier l’équipage. La foi de l’ecclésiastique est mise à rude épreuve. Mais en voyant souffrir son peuple, il comprend. Il comprend l’urgence et l’importance de sa mission. Il doit être le porte-parole de ce que ses yeux ont vu. Des cris que ses oreilles ont entendus. 
Mais son voyage jusqu’à Rome sera bien loin d’être un long fleuve tranquille. Entre tempête, révolte, piraterie, inquisition espagnole et illusions perdues Dom Antonio Manuel devra essuyer quelques rudes épreuves. 

“ Ici, il ne s'agissait que d'intérêts, d'influence et de finances, des questions très éloignées des préoccupations célestes. La salle était remplie d'ecclésiastiques qui ne se souciaient plus de l'âme, ils avaient fait de Dieu un instrument pour servir leurs ambitions personnelles et politiques. ”

Amateurs, amatrices d’Histoire, le roman de Wilfried N’Sondé est fait pour vous. Et il aborde nombre de thématiques qui sont encore profondément ancrées dans notre monde moderne. La religion et le capitalisme au centre de tout pour un peu de pouvoir, pour toujours plus de richesses. Pour briller dans un monde bien sombre où l’Homme est prêt à vendre l’Homme, prêt à l’exploiter sans vergogne. Nous sommes au début du XVIIe et pourtant le parallèle avec notre époque et ses dérives est flagrant. Mais là où tout aurait pu être sans lumière, l’auteur parvient à y glisser l’espérance, à voir la beauté des cœurs à travers bien sûr Nsaku mais aussi ces âmes rencontrées durant son périple. Des âmes mystérieuses mais bienveillantes qui viennent apporter un peu de fraîcheur à un récit lourd de sens. 

Un océan, deux mers, trois continents est digne des grands récits d’aventures. Limpide, on se surprend à tourner les pages sans s’en rendre compte. Nous fait dire « encore un chapitre » et finalement on en enchaîne trois ou quatre. Ce n’était pourtant pas gagné, fermement accrochée à la période contemporaine, je ne suis pas friande des récits historiques de cette époque-là. J’ai même clairement rechigné en début de lecture (en soufflant et tout et tout). Comme quoi, il est parfois bon de sortir de sa zone de confort…

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