Kuessipan de Naomi Fontaine : chroniques d’une réserve innue

Kuessipan
Paru en poche aux éditions Mémoire d'encrier - 120 pages

Que j’aime me fondre dans ces contrées lointaines, découvrir d’autres cultures et d’autres peuples. Peuples résistants, peuples autochtones. Hommes et femmes qui sur un bout de terre vivent, survivent. Fiction ou réalité inventée, Naomi Fontaine avec Kuessipan joue avec la langue pour nous parler de ses origines. 


“ J'aimerais que vous la connaissiez, la fille au ventre rond. Celle qui élèvera seule ses enfants. Qui criera après son copain qui l'aura trompée. Qui pleurera seule dans son salon, qui changera des couches toute sa vie. Qui cherchera à travailler à l'âge de trente ans, qui finira son secondaire à trente-cinq, qui commencera à vivre trop tard, qui mourra trop tôt, complètement épuisée et insatisfaite.Bien sûr que j'ai menti, que j'ai mis un voile blanc sur ce qui est sale. ”  

Uashat. Réserve indienne. Réserve innue. Bordant la baie des sept rivières. Nature reine. Le vent glacé et le sable doux. Les rires festifs et les nuits sombres pour les jeunes filles. L’alcool. La poudre. Les mères adolescentes et les pères absents. Morts. Les fils, les mères, les sœurs, les cousins. Les femmes, fortes. La jeunesse nocturne. Celle d’aujourd’hui et de demain. Uashat. Des maisons comme des baraquements. Les enfants qui courent et jouent sans surveillance. Les hommes qui construisent de leur main des cabanes sur les bords des rives. Les mariages qu’on célèbre autour du feu et les chants anciens qui s’élèvent au son des tambours. S’aimer sans papier à signer. Pureté de l’amour.

Uashat et tous ces habitants qui tâtonnent, qui perçoivent les lumières des villes voisines. Celles dont ils ne font pas partie. Les frontières marquées au métal ou invisibles entre eux et le reste du monde. Parqués. En recherche d’une ligne de fuite. Uashat. Ces femmes-mères qui reprennent plus tard leur étude. Enjoliver la réalité. Les langues qui se mélangent. Tantôt innue, tantôt français. Nutshimit. Terres intérieures. De lacs et de montagnes. Terres de chasse et de pêche. Terres des ancêtres où s’écoulent la sagesse et la paix. Terres de nomades. Ici le train ne passe que deux fois par semaine.

“ Nutshimit, un terrain inconnu, mais non hostile pour celui qui y cherche le repos de l'esprit. Autrefois, ces forêts étaient habitées par des hommes, des femmes qui prenaient de leurs mains ce que la Terre leur offrait. Ils n'y sont plus, mais ils ont laissé sur les rochers, l'eau des chutes et le vert des épinettes leur empreintes, leur regard. Nutshimit, pour l'homme confus, c'est la paix. Cette paix intérieure qu'il recherche désespérément. Ce silence après avoir hurlé, des nuits durant, son angoisse sans que personne ne l'entende. Le silence d'un vent qui fait bruisser les aiguilles de sapin. Le silence d'une perdrix qui déambule aux côtés d'une dizaine d'autres. Le silence du ruisseau qui continue de suivre sa route, enfoui sous un mètre de neige. ”

Nikuss. Le fils. Comme une passation. Retourner sur cette terre. Visiter le lieu où l’homme dort. La maison de l’enfance. Les souvenirs qui gonflent les yeux d’une eau salée. Replonger là-bas. Chemin de croix. Alors écrire pour ne pas oublier ses racines, l’instinct nomade qui coule en elle. 
Alors écrire pour Nikuss, dont le « rire sera l’écho de mes espoirs ». Et écrire pour eux. Les blancs, les Québecois. Et puis nous, vous, et eux, ses frères, et elles ses sœurs. Avec pudeur, et lumière. Fierté et beauté. Leur rendre hommage. Nous les donner à voir avec leurs tragédies et leurs bonheurs. 
Je, tu, il, elle ou il. Distance et respect. Variations des Hommes, des regards, des temps et des lieux. Variations qui unifient les hommes et les femmes, les joies, les peines, l’amour et la nature. Variations d’une voix poétique. Celle de Naomi Fontaine qui par petites touches nous transportent là-bas. Nous ouvrent les barrières de métal pour nous faire pénétrer dans cette réserve où les langues s’entremêlent. Une langue riche et belle, la sienne, ciselée ou ample qui nous dessinent avec la délicatesse un quotidien. 

Kuessipan, tout en étant différent, n’est pas sans m’avoir rappelé ma lecture de Niirlit. Lieux et nature célébrés autant que l’est l’humain. La violence et les silences. Les enfants qui jouent. Les portes ouvertes. L’alcool. Les morts. Les mères « trop tôt » et les pères « foutent l’camp ». Nirliit et Kuessipan qui se complètent et se répondent. L’un au Nord et l’autre au Sud du Canada mais toujours ces peuples autochtones qui ont tant porté et portent encore. Comme s’il ne pouvait en être autrement pour eux.

Commentaires

  1. J'ai pu lui parler, un petit peu, lors du Festival America. C'est une autrice hyper abordable et tellement agréable à écouter...

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    1. J'imagine que ce doit être le genre de rencontres hyper enrichissantes. Rien que la lire apporte déjà une sacrée ouverture sur le monde.

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