Ce pays du silence de Charles Juliet : l’incandescente recherche de son centre

Ce pays du silence
Paru chez P.O.L en 1992
160 pages

Parce qu'on revient toujours, en littérature en tout cas, à ses premiers amours. Le mien se nomme Charles Juliet.


“ que ta faim
soit la lucarne
par laquelle
tu as vue
sur le monde ”

J’ai fait silence. Caresser la couverture, une fois de plus. Hésitante et bouillante. Comme lors d’un premier rendez-vous amoureux. Que voulez-vous j’ai ce rapport charnel à ses mots. Ses mots-combats. 
J’ai fait silence. Une nuit, deux nuit, trois nuits. Au petit matin aussi. Ce silence qui recouvre tout. Vide l’esprit. Et le grandit. Fait battre le cœur. Sillonne l’âme. Vous montre les peurs. Les espoirs. Les batailles à mener. Contre soi-même. 
J’ai fait silence. Attirée par l’irrémédiable désir de le retrouver. De l’explorer. Comme elle. Elle au centre de tout. De ses démons. De son chemin. Elle, la femme ? Elle, l'écriture ? Elle, la poésie ? Elle, la faim ? Elle, la matrice originelle ? Elle, la lumière ? Elle, l'exigence ? Elle, la spiritualité ? Elle. Pourquoi faudrait-il choisir ce qui se cache derrière ce féminin. Elle, englobe le cheminement, la lucidité. L’inexorable, la Trop ardente tension, pulsion, répulsion. Elle, englobe la recherche et la réconciliation. Elle, englobe la naissance. 

Ce pays du silence est le recueil d’une âme portée par ses tourments. D’une recherche de soi. Une recherche intérieure et extérieure. Un préambule à la naissance. La seconde naissance sera confirmer quelques années plus tard avec Lambeaux. 
Ce pays du silence est une braise jetée dans un feu intérieur. Une braise si ardente que la brûlure est inévitable.
Un pays où l'asphyxie, l’épuisement sont incontournables. Où il faut laisser la nuit noire pénétrer. Où il faut aiguiser son regard, affûter sa plume pour percer le jour. 

“ en toi
          désirs pensées
          espoirs mots
tout est à l'agonie 
d'un oeil mauvais
trop lucide
tu réexamines
tes chemins 
heures figées
souffrance nue
solitude 
dans la dépossession
ton face à face
avec le temps ”

J’ai fait silence, le regard et l'esprit inexorablement accrochés à ses pages. Transportée par cette voix qui tel un feu s’embrase au plus profond de moi. Cette voix d’un homme qui me touche par sa simplicité. Par sa sincérité. Par sa remise en question, son exploration de l’existence.
Cette voix d’un homme qui souffre, qui hésite, perd pied, trébuche, se bat et se fait violence. Car elle est douloureuse la faim. Sournoise, obsédante. Elle tiraille. Elle creuse. Laboure et moissonne. Laisse en jachère. Pourrie aussi. Au fond de soi. Et puis, enfin, elle comble. Ce pays silencieux. La voix se libère et s’offre à nous dans un immense souffle. 

Charles Juliet, dans chacune de ses œuvres et ici plus encore que dans certaines, explore le trajet littéraire, l’enfantement douloureux presque mortel pour accéder aux mots. A la paix et la connaissance de soi. S’adressant à la vie, à la mort, à la mère, la femme, au lecteur, à l’écriture, il nous offre la clé. Car à travers son propre cheminement il s’adresse à tous ceux qui craignent leurs abîmes. A ceux qui sont en quête d’eux-même. Égarés dans les eaux troubles. Errants. A ceux qui muets ne savent, n’osent ni dire ni écrire.
Charles Juliet est un maître, un formateur, un guide. Un compagnon de route à lire et relire quand on se perd en chemin. 

J’ai fait silence. Attirée par l’irrémédiable désir de retrouver son incandescence
L’explorer
M’explorer
M’affronter
M’en nourrir


“ tout ce que tu ignores
tout ce que tu n'as pas vécu
tout ce que tu ne parviens pas
à comprendre
vidé de ta substance
par le doute
la conscience de ce que tu es
ton manque de foi
dans les mots
le lancinant désespoir
qui te ravage
quand tu songes
à ce qu'il y aurait lieu
d'intégrer et de vivre
pour mûrir cette parole
à laquelle tu ne cesses pas
d'aspirer
alors n'écris plus 
si 
dire ce que tu es
cet homme empêtré
                   insuffisant
                   honteux
mais qui avec acharnement
se refuse à renoncer 
ne te laisse pas
saper par le gâchis 
éroder par tout
ce qui t'invite
à te soumettre 
bats-toi 
bats-toi 
durcis tes mots 
nourris-les
de ce non silencieux
qui se tapit
dans ton sang ”

Ce pays du silence de Charles Juliet précédé de Trop ardente et L'inexorable

Paru aux éditions P.O.L

Commentaires

  1. Ses mots me font l'effet d'un bon coup de pieds au derrière (ce n'est pas poétique, désolée ;-) ) pour mettre mes mots sur papier...

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    1. Ahah alors foncé, laisse les glisser.
      Moi perso, quand je lis Juliet je perds mes mots que je trouve bien insignifiants face aux siens.

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  2. Qu'il est bon de retrouver un écrivain qui nous touche à ce point. Je ne connais quant à moi pas l'oeuvre de Charles Juliet....

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    1. La valeur sûre quand on vacille.
      Mais, non?! Si à l'occasion ça te tente, dis-le moi :)

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