Nous, l'Europe banquet des peuples de Laurent Gaudé : la poésie pour s'unir

Nous, l'Europe
Paru en mai 2019 aux éditions Actes Sud
192 pages

À l'heure où l’extrémisme monte dangereusement, où certain(e)s pensent que la solution est dans le retrait de l'Europe. À l'heure où les peuples d'Europe doutent, perdent leurs repères, oublient les épreuves que nos ancêtres, nos parents ont enduré, Laurent Gaudé prend la plume. Porte sa voix. En appelle à notre raison. À notre mémoire. Pour une autre destinée.
Nous, l'Europe est ce livre libre. Engagé. À lire d'urgence. 


« Nous sommes nés de ces temps-là, de génie,
D'activité frénétique,
De concurrence outrancière,
De patriotisme paternaliste.
Ces temps de gueules de suie
Et de famines de chômeurs.
Nous sommes nés de la grande rivalité.
Chaque ville a voulu régner.
Chaque ville a voulu inviter ses voisins à son propre sacre.
[...]
L'Europe va vite.
Ca s'échauffe.
Aller plus loin.
Prendre l'ascendant,
Briller davantage.
Ce qui compte,
Entre Paris, Londres et Berlin,
C'est la rivalité
Et elle est sans pitié. »

Boum. Boum. Les pays du vieux continent bouillent. Entendez, écoutez, ça se soulève. Liberté. Liberté chérie. Ça chauffe. Ça s'agite. S'unir. Se diviser les terres. Régner sans roi. Moderniser. Les voies. Les foyers. Écoutez, regardez les gueules noires. Charbonnées. Les hommes partis à la mine, cracher leurs poumons pour le confort de tous.
Écoutez, regardez, ces tout-puissants se partager des pays qui ne leur appartiennent pas. Regardez ces tout-puissants massacrer des peuples. Guerre pour la paix. Meurtres de masse pour la soumission. Regardez nos semblables rejoindre le front. S'endormir un trou rouge dans la poitrine.
En lambeaux. Regardez-les fuir dans cette « Europe des apatrides / De ceux qui fuient, / Partent dans la nuit, / Remettent leur vie entre les mains d'un passeurs, / Et prient pour ne pas être vendus au bout du chemin. »
Voyez-les s'enivrer, d'alcool, de sang. Rêvent-ils encore après cela ? Pas le temps de souffler, on repart contre ces chants à la main levée. Ou on brûle les livres, selon le camp. Avant de brûler des vies. Au nom de quoi ? 
« Crachez sur leurs noms ! »
Brûler des vies. Haïr les Indésirables. Ou se battre. Car « nous avons des héros qui ont dessiné le rêve d'une Europe plurielle ». Contre les vieux généraux. Contre des autorités religieuses faisant foi. Pour la liberté. De vivre, de croire, d'espérer, de rêver.

Laurent Gaudé nous retrace cette Europe et ces peuples sans jamais édulcorer l'Histoire. Une Europe et des peuples secoués. Battants. Résistants. Tourbillon des âmes, sans cœur parfois. Tourbillon de ces grandes innovations. D'un libéralisme torse bombé. 
Ce qui m'a frappée à la lecture, c'est notre capacité à reproduire l'horreur. À oublier les douleurs. Les ignorer. Par peur. Recommencer. Sans cesse. Presque comme une faim jamais rassasiée. Mais ne peut-on pas faire autre chose de cette faim ? Ce livre est plus que jamais d'actualité. La montée des extrêmes. L'individualisme ambiant. La colère qui gronde. Justifiée parfois bien sûr. Mais n'est-il pas temps de bâtir plutôt que de se battre ?

« Dépêchez-vous de rire,
Finissez les bouteilles,
Enchaînez les toiles, les livres, les poèmes,
Vite !
Dépêchez-vous de parcourir les rues folles de Paris et Berlin pour en sentir le pouls.
Dépêchez-vous.
La nuit est bruyante,
Pas seulement au son des trompettes,
Mais de notre propre tumulte. »

Nous avons vécus mille douleurs, mille révolutions. Nous avons détruit un mur, nous avons chanté. Tangué. Combattu. Nous avons bâti. Nous avons mélangé les cultures. N'est-il pas temps de faire quelque chose de notre histoire ? N'est-il pas temps de s'attabler Nation des nations, peuple des nations, pour rêver demain ? Nous qui partageons le même socle. Ce n'est pas un appel à la révolution, c'est un appel à l'utopie, à l'humanisme que lance Laurent Gaudé dans des mots choisis avec précision, des phrases épurées, minimalistes. Qu'on ne lâche pas. 
Plus qu'un livre, c'est un traité que l'on lit sans reprendre son souffle. Scotché au mur. Suspendu à cette voix. Cette voie dessinée. Et on se met à croire que le possible démarre aujourd'hui. Passons ce livre de main en main, faisons étudier ce texte aux plus jeunes, commençons le grand banquet.

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Né en 1972, Laurent Gaudé est romancier, poète, nouvelliste mais aussi dramaturge. En 2002, il obtient le Prix Goncourt des lycéens et le prix des Libraires pour son roman La mort du roi Tsongor et en 2004, il reçoit le Prix Goncourt pour Le Soleil des Scorta.

Ces textes sont publiés dans le monde entier. 

Photo © Christophe Abramowitz

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