Bazaar de Julien Cabocel : road-trip pour la (sur)vie

Bazaar
Paru aux éditions L'Iconoclaste
198 pages

Les éditions L’Iconoclaste ont le chic pour publier des romans oniriques, qui vous transportent dans un univers à part entière (c’était notamment le cas l’an dernier avec Ma reine de Jean-Baptiste Andrea). Le premier roman de Julien Cabocel ne déroge pas à la règle. Montez à bord, ouvrez les yeux et laissez-vous bercer par le doux ronronnement de Bazaar.


“ Et garde le désir à l’œil autant que tu le pourras, tu m'entends ? Il faut veiller sur lui, souffler sur lui comme les premiers hommes soufflaient doucement sur le feu pour ne pas qu'il s'éteigne, comme un trésor. Le désir de vivre, d'aimer, de bâtir, d'être vivant. ”

Il ferme la porte de chez lui, claque les clés dans la boîte aux lettres, allume le moteur et démarre. Destination ? Inconnue. Là où sa voiture l’emmènera. Jusqu’à ce que le réservoir soit vide. Vide, Dominique Chevalier l’est un peu. Il décide un soir, après avoir vu la représentation d’un ballet à l’Opéra Bastille, de tout plaquer. Cette femme qu’il a vue sur scène, sa grâce, l’émotion qu’elle lui a procurée l’a décidé. Il n’en peut plus de ce boulot d’inventeur de slogans, de promesses non tenues, de rêves en veux-tu en voilà servis sur les belles publicités que l’on voit un peu partout. 

Il roule, tout droit ou presque, aussi loin qu’il le peut. La Provence. Son moteur s’arrête, il observe. 
Il est arrivé à destination. C’est à ce moment-là qu’il croise un vieux monsieur accompagné de son Polaroid 620. C’est la première vraie rencontre. Ce photographe disparaît avant de réapparaître quelques temps plus tard. Au Bazaar. Ce motel en plein désert provençal semble être abandonné. Et pourtant, quelques âmes y vivent. Quelques âmes qui se cherchent, qui ont fui peut-être elles aussi. Ce lieu est tenu par la mystérieuse Stella. Le genre de femme à vous faire battre le cœur. 
Et puis il y a Dan, un homme passionné par la voie lactée et les sciences. 
Théo, un berger qui accompagne chaque jour ses bêtes de… ferrailles en haut du Gargo. 
Ilda, une vieille dame aux airs d’ancienne mannequin. Amour ancien du photographe croisé plus haut. Ensemble ils avaient inventé l’amour. Jusqu’à se perdre. 
Puis il y a Millie, une tatoueuse sans tatouage mais percée à la langue. Il faut dire que Millie est une tatoueuse particulière, elle sonde la peau des Hommes. 
Mais il y aussi Gene, loin d’être insensible à Millie, qui vole avec son planeur au-dessus de ce drôle de Bazaar. Et enfin Vic, une enfant dont tout ce beau monde semble être les parents. 

Âmes vagabondes, comme Dominique, ils vont apprendre à composer ensemble malgré leurs curiosités et leurs particularités et retaper ce lieu pour en faire une sorte de maison. Leur maison plutôt qu’un lieu d’errance. Mais est-ce vraiment la fin du voyage ? 

“ Aura-t-on un jour assez de toute la musique, de tous les livres, de toute la poésie, de la peinture, du désespoir le plus foncé, du chagrin le plus gris, de la joie jusqu'aux larmes, des tremblements, des cris les plus amers, des chants les plus doux, des plus danses aussi, des nuits d'été, des villes millénaires pour dire la beauté d'un corps ? ”

Lorsque j’ai démarré Bazaar, j’étais en Provence – pure coïncidence – dans mon lieu d’errance estival. Cette lecture ne pouvait donc pas mieux tomber. J’avais besoin et envie de me laisser porter par tout un univers, parfois flou, incomplet. Un univers dont on ne saisit parfois pas tout mais qu’importe (ne sommes-nous pas un peu comme ça, nous aussi...). Je cherchais l’évasion. Je me suis retrouvée en réalité en totale immersion. J’avais le décor des pages devant les yeux. La chaleur écrasante sur la peau transpirante, les odeurs portées jusqu’à mes narines. Je ne faisais plus qu’un avec le livre.

Dans une atmosphère ensorcelante, notre héros assemble peu à peu les morceaux d’un puzzle pour tenter de reconstituer le tableau final de ces vies éloignées. Si éloignées de la sienne et pourtant si proches parfois que l’on se demande s’il s’agit d’un monde réel ou imaginaire tant ces personnages font émaner les fantasmes, les désirs enfouis, les possibilités infinies ou encore les rencontres ratées. 
En voyageant jusqu’au Bazaar poétique et délicat de Julien Cabocel, nous brossons finalement aussi nos propres questionnements et ressentis. Dès lors que l’on se laisse emporter, leur errance devient la nôtre. Alors, on s’arrête sur une phrase, un paragraphe, on pose le roman et l’on se met à divaguer, disséquer et transposer cette pensée à notre propre vie. Et notre propre bazar. Avec tout ce qu’il faut de finesse et de douceur comme a si bien su le faire l’auteur. 

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