Autour d'un roman : "Un jeune homme en colère" de Salim Bachi

Un jeune homme en colère
© C.Helie

Vendredi je vous parlais de ce roman à la fois âpre et poétique qu'est Un jeune homme en colère paru aux éditions Gallimard. Durant ma lecture, mon téléphone n'étant jamais loin (ah la génération connectée !), je notais mes idées et les questions que j'aurais aimé poser à Salim Bachi. 
Alors que je refermais la dernière page et que je partageais à chaud mes émotions avec l'auteur, je lui ai évoqué ces quelques questions auxquelles il a accepté de répondre.
Un grand merci à Salim de s'être prêté au jeu de l'interview.


Ma chronique de ce roman à retrouver ici 


Comment est né ce roman ? 

D’une voix. Celle de Tristan. Elle s’est imposée à moi et je l’ai écoutée. Ensuite les choses se construisent mystérieusement quand on écrit un roman.


D’où vous viennent la colère et l’insolence qui habitent Tristan ? 

De la mort de sa sœur Eurydice dont il n’arrive pas à faire le deuil. Sa douleur est telle qu’il en veut au monde entier. 


Tristan évolue dans un monde bourgeois, celui des apparences, dégueulant d’hypocrisie. Ce monde semblait être une évidence pour aborder ces thématiques, comment l’expliquez-vous ?

Je voulais parler d’une chose que j’avais observée. Effectivement un monde de convenances, de faux-semblants, que rejette Tristan depuis sa découverte de la mort. On se pense immortel à dix-huit ans et puis on perd un être cher et tout vacille. Tristan découvre qu’il ne se sent pas à l’aise dans le monde de ses parents et de ses amis qui semblent ne pas comprendre sa douleur. Mais il se trompe sans doute…


Dans la longue errance de ce jeune homme qui ne trouve pas sa place, qui meurt à petit feu de la perte de sa sœur, on y trouve malgré tout une sorte de fureur de vivre que le rêve, l’illusion parfois de voir sa sœur semblent porter. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Vous avez raison, Tristan dérive à Paris et semble se consumer lentement. Alors, parfois, il se raccroche au rêve fou de faire revenir Eurydice des enfers. Tristan est une sorte d’Orphée moderne qui, comme son double antique, ne réussit pas à faire revenir sa bien-aimée du monde des morts. En attendant, ce maigre espoir, le maintient tout de même en vie.


Vous faites référence aux attentats du 13 novembre, c’est même l’un des piliers de votre livre. Pourquoi cet événement ?

Je voulais donner une résonance universelle au deuil de Tristan. Et il me semble que les attentats du 13 novembre ont atteint tout le monde. Du coup, cela m’a paru naturel de lier la mort d’Eurydice aux attentats. C’est une découverte que j’ai faite en écrivant le roman, au même moment que le lecteur qui comprend, peu à peu, pourquoi Tristan ne peut taire sa douleur...


Vous pointez du doigt les réseaux sociaux, les selfies en veux-tu en voilà mais aussi le monde moderne de la culture et de l’art. Avez-vous ce sentiment qu’ils sont entrés dans la mode du consumérisme à outrance, du « vendre à tout prix » ? 

Oui pour le monde littéraire, c’est évident. On vend des produits que l’on lance à coups d’émissions télévisuelles qui n’ont plus rien à voir avec l’art ou la culture. Et ce qui dégoûte Tristan, c’est que son père, un écrivain, se prête à cette mascarade marchande. De la même manière, il pense que les réseaux sociaux et les selfies ne servent qu’à masquer un vide abyssal.


Tristan ponctue son soliloque de nombreuses références littéraires et liées à la mythologie. Sont-elles aussi les vôtres ? 

Oui ce sont les miennes. J’ai toujours écrit ainsi en faisant référence au passé, à la littérature et à la mythologie. Cela peut paraître étrange cette érudition chez un jeune homme comme Tristan, mais j’y tenais et je crois que cela lui donne une profondeur et une poésie qui le rendent plus humain. Sans ces références, sa révolte aurait pu passer pour nihiliste.


En parlant de références, vous évoquez, toujours à travers votre personnage, l’ancien Paris, celui de Céline, de Nerval, d’Apollinaire ou encore Modigliani (et j’en passe). Pourquoi avoir voulu mêler ce temps-là et ces vies là à celle de Tristan ?  

Tout simplement parce que Tristan vit à Montmartre, chez son père, et que ces artistes ont tous vécu à Montmartre à un moment ou un autre de leur vie. Ils sont tous morts depuis longtemps et Tristan vit en compagnie des morts en quelque sorte. Alors pourquoi pas des artistes et des écrivains qui lui ressemblent pour l’accompagner vers la mort…



Salim Bachi est né à Alger, il vit et travaille désormais à Paris. Il est l'auteur de onze autres ouvrages dont le très remarqué Le Chien d'Ulysse paru en 2001 chez Gallimard et qui a été récompensé par le Goncourt du premier roman et le Prix de la Vocation. 

Les autres publications chez Gallimard : La Kahéna (roman, 2003 - Prix Tropiques 2004), Tuez-les tous (roman, 2006), Les douze contes de minuits (nouvelles, 2006), Le silence de Mahomet (roman, 2008), Amours et aventures de Sindbad le Marin (roman, 2010), Le Consul (roman, 2014), Dieu, Allah, moi et les autres (roman, 2017).

Il a publié également un récit aux éditions du Rocher intitulé Autoportrait avec Grenade et deux autres romans Moi, Khaled Kelkal chez Grasset ainsi que Le dernier été d'un jeune homme chez Flammarion.

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