Le cabaret des mémoires de Joachim Schnerf

 
Joachim Schnerf
Paru aux éditions Grasset en août 2022 - 140 pages

Cette nuit, le second roman de Joachim Schnerf, couronné du prix Orange en 2018 avait été une merveilleuse découverte. Il y était question de silences, de transmission et d’héritage dans une langue poétique et tendre. Avec ce troisième roman, Le cabaret des mémoires, il poursuit cette idée de transmission par un prisme peut-être encore plus intime que lors du précédent.

Quand demain reviendra la lumière, les souvenirs seront là ; dans le tiroir que je repousse en silence, le bout des doigts figé contre le bois, un instant encore.

Samuel porte le poids de l’Histoire depuis plusieurs générations. Celui d’une famille juive, polonaise, exilée en France mais dont le destin d’une partie de la famille a basculé dans l’horreur. Alors que Samuel attend de retrouver et d’accueillir sa femme qui vient d’accoucher au bras de son premier fils, il s’interroge, plein de doutes et de d’angoisses à l’idée de devenir père. Que transmettra-t-il à son fils ? Comment lui contera-t-il l’histoire de sa famille et de Rosa ?
Rosa, sa grand-tante qui a été raflée dans ce pays qui les a accueillis puis dénoncés. Rosa, qui a survécu à Auschwitz. Rosa qui tous les soirs, dans le désert Texan, montait sur scène pour raconter. La vie d’avant l’Horreur. Son enfance. Son arrivée en France. La rafle, les camps eux, sont une succession de mots, car il y a des maux qui ne peuvent être contés. 

Samuel attend et dans cette attente il se remémore sa propre enfance, celle où Rosa était une quête. Avec sa sœur et son cousin, s’aventurer dans un désert imaginaire. Trois cowboys à la recherche d’un cabaret. Vivant mille aventures pour tenter de parvenir enfin à trouver ce lieu dont ils entendaient tant parler. 

Chaque soir dans une tenue différente, Rosa aux identités infinies liste sans raconter, elle nomme, martèle, pour qu'on ne puisse jamais nier.

Samuel attend et dans cette attente, ce chant qui revient sans cesse, Quand demain reviendra la lumière, ce chant mille fois entonné, lors de ces étés au camp scout. Lors de cet été particulier, qui changea sa vie. Cet été où il rencontra Léna, sa femme. Celle qui vient de donner la vie. 
Samuel qui a tant et tant essayé d’entrer en contact avec Rosa. Rosa, qui n’a jamais parlé mais qui avant de mourir lui a transmis ce qu’elle n’avait jamais pu dire. Cette histoire, Samuel doit la transmettre à son fils. Qu’il sache qui il est. D’où il vient. Qu’il connaisse son histoire. Pour ne pas qu’elle soit un fantôme, une énigme. Pour ne pas laisser les silences devenir un poids. Alors Samuel, transmettra. Pour que l’histoire et l’Histoire ne s’effacent pas. Pour qu’à son tour, un jour, son fils transmette lui aussi. Pour que demain revienne la lumière.

Quel plaisir de retrouver la sensibilité de Joachim Schnerf dans ce nouveau roman. On parle souvent de la transmission d’une mère à son enfant, plus rarement d’un père à son enfant. Et Joachim Schnerf y parvient avec une grande sensibilité. 
Le cabaret des mémoires pourrait être sombre et pourtant il n’en est rien. L’auteur réussit habilement à aborder la gravité et ce devoir de mémoire à une génération, qui grandira sans aucun survivant, avec beaucoup de lumière. 

Quand demain reviendra la lumière, que nous entrerons dans l'appartement pour la première fois tous les trois, je lui raconterai. Il y aura les berceuses, les histoires récitées d'une voix grave, et puis la Shoah. Il faudra que je trouve les mots qu'on ne m'a pas dits, car c'est le silence qui a semé en moi toutes ces névroses – pas les atrocités de l'histoire. Je veux tout transmettre à mon enfant, son arrière-grand-père et son arrière-grande-tante, six millions d'âmes qui priaient chaque nuit pour que le lendemain revienne la lumière et que le cauchemar se dissipe.

L'amour, la mort, la transmission. Le temps et l'attente. Il y a dans les livres de Joachim Schnerf ces cinq piliers. Il y a le feu qui s'embrase, dans la parole ou les silences. Le cabaret des mémoires n'y déroge pas. Le feu de la mémoire qui brûle avec les disparus. Celui que l'on rallume avec les vivants pour porter le message. Les souvenirs que l'on repousse ou que l'on déterre. Les silences qui nous constituent. Qui constituent le socle familial. Celui qu'on ne veut pas forcément reproduire. Transmettre pour se construire. C'est peut-être cela l'essence même de ce roman.
Il y a la nuit. La dernière. Et avec elle les angoisses et les questionnements. Avant que tout se transforme…



Le cabaret des mémoires de Joachim Schnerf paru aux éditions Grasset

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