Ainsi nous leur faisons la guerre de Joseph Andras : sauvagerie humaine

 
Ainsi nous leur faisons la guerre
Paru aux éditions Actes Sud en avril 2021 - 96 pages

Voilà que je renoue avec la plume de Joseph Andras, six ans après l'avoir découvert lors de son premier roman De nos frères blessés. Un premier roman qui dessinait clairement la veine politique que son écriture prendrait.


La preuve en est avec Ainsi nous leur faisons la guerre puissant, politique, engagé. Bien loin de la guerre d'Algérie cette fois, c'est la cause animale qui est au cœur de ce triptyque. Un triptyque glaçant sur la cruauté de l'Homme et souvent des hommes – les femmes tentent elles de faire entendre leur voix.

Bien sûr, nous, ça n'existe pas quand le ventre dit la faim. Quand la femme dit la chair qu'on profane. Quand l'esclave dit la chaleur du fouet. Nous, c'est un pronom de prospères. Un petit mot cher aux humanistes. On est universalistes quand on ne doute pas des dons de l'univers ; on est du monde entier quand on y est bien né. Nous, c'est pour ne rien dire du fond de l'affaire : qu'il n'est pas d'humanité mais ceux-là qui disent les ordres et ceux-là qui les entendent. Nous, c'est un mensonge gros comme tout. Mais ce mensonge, la bête a bien raison de s'en moquer. Car sous le feu, car sous les coups, car sous la lame, il n'est à ses yeux nul ministre ni mendiant, nulle comtesse ni servante, nulles races en nombre dénigrées, seulement la même espèce qui partout s'éploie sans partage.

Le livre s'ouvre sur l'année 1903 et le supplice d'un chien sur lequel des expériences scientiques sont effectuées de manière totalement abominables et face à une foule d'étudiants assoiffés de savoir (vraiment ?) et d'hilarité (oui, oui...). Mais aussi face à deux jeunes femmes qui dénonceront l'affaire : Liz Lind-af-Hageby et Leisa K.Schartau, "des noms trop compliqués pour que l’histoire les retiennent."

Puis nous voilà en 1985, sur un campus Californien. Les expériences continuent. Sur un paquet d'animaux dont un petit singe rendu aveugle. Mais en ces années là, le Front de libération des animaux se créent, Val, une ancienne flic, et Josh, un ancien de l'US Navy mènent la libération. Plus de 450 vies sauvées sur 700. Avec pour mission principale d'emmener loin de la folie ce petit singe.

[...] c'est qu'on accuse l'ensemble des féministes d'être de mèche avec le chien, et ce n'est pas tout à fait faux car ces femmes qui se battent pour voter ne comprennent souvent pas pourquoi déclarer les guerres, fabriquer les lois et violer les femmes, cela ne suffit pas à contenter les hommes, pourquoi il leur faut de surcroît démembrer les animaux qu'ils croisent ; ce que nombre d'entre elles comprennent, par contre, c'est que la force mâle qui meurtrit le corps des femmes et celui des bêtes est la même, que cette force dit de la femme qu'elle est une chienne et des bêtes qu'elles sont autant de biens, que cette force décrète ce qui mérite ou non de vivre et surtout à quelle place, que cette force conquiert la viande par son fusil ou par son sexe droit — instruites de ce savoir acquis dans la blessure et l'ombre, ces femmes ouvrent grand la nuit en s'écriant : le sang ne passera pas par nous !

Dernier panneau, 2014. La chasse à la vache. Elle s'est échappée avec son veau alors que l'éleveur les conduisaient directement à l'abattoir. Tandis que le veau se fait rapidement attrapé, la vache elle parcourt des kilomètres pour tenter de s'extirper de son destin. En vain. Cette vache traquée comme un ennemi de la nation met en lumière le sort réservé à 3 millions d'animaux chaque jour, lorsqu'ils sont menés à l'abattoir.

Nuls élans poétiques ici mais bien politiques avec ces trois tableaux qui s'entrechoquent pour interroger sur notre rapport aux êtres vivants, dénoncer la domination des Hommes sur la nature (et des hommes sur l'autre sexe) qui jamais ne s'arrête... à moins que nous poursuivions enfin la lutte entamée par d'autres ?

La nuit descend sur le pays que l'on prive de rigolade. Ce mercredi du mois de mars 2014, jour dix-neuf, on parle à la télévision d'un président corrompu placé sur écoute, du soutien de sa campagne par quelque roi furieux et d'un haut magistrat de mèche, d'un ancien opérateur de marché bientôt de retour en prison après avoir fait chemin contre la tyrannie des financiers. On parle aussi de sept personnes assassinées voilà deux ans par un jeune fou de Dieu, d'une banque détroussée sans nulle violence et d'un avion disparu. Mais de l'âme ce jour tombée sous soixante-dix balles, on ne dit rien. Mais des trois millions d'âmes tombées depuis la veille, on dit encore moins.


Ainsi nous leur faisons la guerre de Joseph Andras aux éditions Actes Sud

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