Le mort était trop grand de Luis Miguel Rivas : danser aux milieux des morts

Le mort était trop grand
Paru aux éditions Grasset - 432 pages
Traduit par Amandine Py

Décidément la collection En lettres d'ancre de chez Grasset ne cesse de me surprendre par la diversité de ses publications et des sujets englobés qu'on voit bien peu en littérature française. Avec Le mort était trop grand de Luis Miguel Rivas, direction une nouvelle fois l'Amérique latine mais vue sous un nouvel angle : au plus près du narcotrafic.


Manuel a grandi à Villaradieuse (ne cherchez pas sur Google, cette ville est fictive mais peut se situer en Colombie), dans un quartier pas franchement côté. Il traîne avec ses potes, travaille un peu parfois pour quelques pesos, boit souvent et fume quelques joints par-ci, par-là. Dans cette ville, qui n'a de radieuse que le nom, la guerre entre narcotrafiquants fait rage. Le plus puissant est dirigé par Don Efrem alias le Patron qui éclate tout le monde sur son passage.

“ Moi, j'ai ma théorie là-dessus : si les gens sont si méfiants de nos jours, s'ils font tout le temps la gueule, c'est pas tant qu'ils craignent qu'on leur fasse du mal, non, c'est pour éviter de passer pour des cons quand on les surprend en flagrant délit de confiance. ”

Manuel, lui, ne trempe pas vraiment dans ces magouilles. Pourtant ça le fait rêver de bosser pour le Patron. Ça le fait rêver d'avoir de belles fringues comme les autres. Mais, pas un pesos en poche...  
Jusqu'au jour où, dans un bar, il fait la connaissance de Yovani. Un mec bien sapé qui porte les chaussures de... Chepe, un pote retrouvé mort quelques jours plus tôt. Manuel bloque. Mi-attiré, mi-angoissé. Yovani lui explique la combine qui consiste à acheter ses fringues à la morgue. Porter ceux de mecs qui se sont pris quelques balles au passage et les rafistoler. Après une tentative infructueuse de passer par l'intermédiaire que Yovani connaît, ils décident d'aller directement à la source (donc à la morgue). Mais Manuel est bien loin de se douter que la tenue choisie mettra Gamin et Merveille, deux employés de Don Efrem embauchés pour faire le ménage, dans tous leurs états...

L'aventure folle de ces deux jeunes hommes commencent alors et nous embarque dans le sombre monde des narcotrafiquants où des bombes explosent, où les morts sont parfois retrouver en plusieurs morceaux et où chacun des habitants semble être relié au Patron (qui aurait tout aussi bien pu s'appeler Le Parrain).

“ [...] il se vantait toujours d'être un mafieux cultivé alors qu'il avait rien d'un mafieux et encore moins d'un mec cultivé, non lui, son truc, c'était de se draper dans tout ce qui pouvait donner du prestige. Moi, je m'emmerdais assez vite quand les gars se mettaient à parler des bouquins que je connaissais pas, mais Chepe, qui n'avait pas lu ces livres non plus, il trouvait toujours quelque chose à dire ; les autres n'y voyaient que du feu et l'écoutaient avec intérêt. Chepe était si convaincu qu'il savait ce qu'il ne savait pas qu'il finissait par le savoir. ”

Luis Miguel Rivas nous entraîne dans ce monde des gangs sans pitié, où la justice est entre les mains de ceux qui possèdent les armes. Mais il parvient néanmoins à nous dépeindre tout cela avec un humour corrosif et décalé ne serait-ce que par le nom des lieux, des bâtiments, ou par le caractère parfois mièvre qui peut se cacher sous le personnage de Don Efrem. Et même si j'ai parfois eu l'impression qu'il jouait avec trop d'éléments à la fois alourdissant ainsi l'effet escompté, j'y ai vu là une manière de créer une distance avec la violence ou de dépasser le simple sujet de la mafia. De démystifier le narcotrafic.

Au son des tubes et de l'oralité – excellemment traduit par Amandine Py – qui parcourent le roman, Luis Miguel Rivas a réussi dans l'ensemble à me transporter en Amérique latine, dans ce lieu fictif aux mille contrastes. Entre pauvreté, violence, magouilles, croyances et traditions portées bien souvent par les femmes. Et je ne peux que saluer le traitement du sujet, audacieux et l'intrigue du roman, rondement menée grâce à la combinaison des différents temporalités et angles de narration qui nous tiennent en haleine.


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