L'Albatros de Nicolas Houguet : d'un hommage aux passeurs à l'envol d'un homme

L'Albatros
Paru aux éditions Stock le 13 mars 2019
224 pages

Vous parler de L'Albatros va être délicat. Je laisse couler les mots, maladroitement, je suis toujours maladroite lorsque j'aime. Un texte ou une personne. Là, il y a les deux, imaginez donc... 


“ Parfois, pas souvent dans une vie, on bloque. ”

Il y a plus d'un an, j'ai reçu un message, je ne me souviens pas avec exactitude le contenu, je sais juste qu'il me demandait si j'acceptais de lire son manuscrit. Je me souviens avoir pâli. Avais-je bien lu ? Erreur de destinataire ? Pourquoi moi ? Je n'avais rien à apporter. On se connaissait peu lui et moi. Certes, nous avions échangé de nombreux messages mais avions dû nous voir une fois, peut-être deux. 
J'ai accepté. Sans trop savoir pourquoi, honnêtement. Coup de folie. Coup d'envie. Évidence dissimulée. Un d'accord hésitant. Un accord hésitant. Une appréhension immense. 
Je me suis jetée entièrement dans ses mots. 

Il y a un peu moins d'un an, j'ai relu ce manuscrit. Avril 2018, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Il commençait grandement à prendre sa forme finale. Je me souviens l'avoir redécouvert. Avoir relevé d'autres passages. Être bouleversée par d'autres émotions. Des émotions communes. Je me souviens lui avoir envoyé un message, brouillon, une fois refermé. Un message qui partait dans tous les sens. Sans retenue aucune. Il était là, en train de naître. Sous mes yeux. 
Je crois que c'est à ce moment là que j'ai compris pourquoi il avait voulu mon regard sur ses mots.
L'évidence révélée. 

Le voilà, terminé, entre mes mains. Avec sa couverture bleu électrique. Magnétique. Le sourire aux lèvres. Les yeux étincelles. Électrique, magnétique, étincelant. Trois mots qui révèlent L'Albatros
Une nouvelle fois, j'ai tout plaqué pour le lire. Parce que j'avais envie, besoin de retrouver ce souffle. L'impatience de retrouver Patti dont je ne suis pourtant pas fan mais il est parvenu à changer mon regard sur sa musique. Il m'a éveillée à sa puissance, son aura. L'impatience de retrouver ses mots. Forts, intimes. Qui résonnent en moi et résonneront en d'autres, j'en suis convaincue. 

“ On est chacun l'incarnation de tout ce qu'on a traversé, de tout ce qu'on a ressenti, de l'époque qui nous porte. On est des exemplaires uniques, même si on se ressemble parfois et qu'on partage des tonnerres et des emportements. On ne peut rien ressusciter. Et c'est tant mieux. Le temps qui passe est une belle chose. Il ne faut pas s'agripper comme des noyés aux secondes qui sombrent. ”

En lisant Nicolas c'est une bande son qui se joue. Et le son est bon. Le rythme est là, les percu, la voix aussi. C'est l'album d'une vie au creux d'un concert où il se rend. Seul. Avec l'ombre de E. là quelque part dans la salle. E. qu'il a tant aimée. De cet amour que l'on ne rencontre qu'une fois dans sa vie. Aussi doux que douloureux. Celui qui vous fait braver les tempêtes. Escalader des montagnes même lorsque le corps met en garde. Un amour qui brûle les ailes. Que l'on sait éphémère au fond de soi. « On a fini par tomber comme tous ceux qui courent trop vite. » E. est partie. Mais la tendresse reste intacte. 
Patti Smith est l'un de leur point commun. Il la sait dans la foule ce mardi 20 octobre 2015 - jour de l'anniversaire de Rimbaud, il n'y a pas de coïncidence – mais ce qu'il veut ce soir là c'est se (re)trouver, lui. 

Gloria résonne. C'est le début d'une expérience d'une vie. Qui monte crescendo. Qui ne va avoir de cesse de grandir à mesure que le concert s'anime, que les chansons résonnent. Jusqu'à devenir une sorte de grande fête païenne  Mieux que l'alcool, la drogue, l'héro, le crack. Mieux que n'importe quel psychotrope. « C'est comme faire l'amour violemment. A mille. »
On a alors la sensation d'être simplement à sa hauteur, de percevoir les rythmes, les mouvements de la foule, les siens et ceux de Patti Smith. C'est l'ivresse sans rien d'autre que la musique et la voix d'une « sorcière » aux cheveux blancs. L'introspection par une cérémonie chamanique. L'homme placé derrière la table de mixage commence son voyage. Déploie sa mémoire et ses ailes. Sonde ses colères. À chaque morceau joué, c'est un pan de son histoire qui nous est confié. Harmonie entre vie et musique. L'une donne le là à l'autre. L'impulsion. L'autre s'enroule autour d'elle. Pour ne faire qu'un. 

Au gré des chansons, Patti Smith devient le lien avec ces autres. Vivants ou morts. Les premières amours, les premières absences, les douleurs : celles du cœur, de l'âme et du corps. Mais de ces déceptions, ces ratés, ces blessures, ces entraves s'en faire une force. Apercevoir la lumière. À travers eux. Pour eux. 

Nicolas nous livre un chant d'amour aux siens. Cette famille merveilleuse, magnétique.  Sa promesse de l'aube, petit bout de femme à la fois timide et sauvage qui lui a fait découvrir le sens du mot « semblable ». À vous en foutre les larmes aux yeux. Ce père un peu aventurier derrière son côté ours des forêts. Ce frère jumeau qui lui montrait la voie des envies. Leur relation à la fois pudique et au-dessus de tout. J'en souris dans le souvenir furtif que j'ai d'eux.

Il nous offre la beauté de son regard sur celles et ceux croisés ici ou là. Ces inconnu(e)s, ombres frôlées. Observé(e)s dans la rue, aux terrasses d'un café. Insouciant(e)s, confiant(e)s de leurs gestes. Sensuel(le)s.   Ces ami(e)s, à la complicité naissante ou installée. Son regard sur ces décors qui ont accompagné ses voyages. Amérique, Italie. On ressent tout. On visualise le désert et ses couleurs, les églises et les places. 

“ Je me suis concentré sur les choses qu'on ne dit pas. La parole n'est souvent qu'une transaction. On donne le change, on se manifeste, mais ça ne veut rien dire. Ce qu'il y a dans un geste, dans un regard, dans un baiser est un secret beaucoup plus puissant que tout ce qu'on saura jamais dévoiler. Un frisson, son éternité, ce qu'il révèle de nous. Ça s'attarde sur la peau. Ça demeure comme un tatouage. Nous, ce n'est que ça. Ces secondes suspendues. Le reste c'est pour la continuité, pour le script, pour qu'on y comprenne quelque chose. Mais au fond, ça compte vraiment ? ”

Il nous ouvre son temple. Celui qui contient ses piliers. Qui porte pour nom : Art. Dans toute sa puissance, sa beauté. Sous toutes ses formes. À travers le dessin. À travers la littérature et la poésie : Jack London, Kerouac, Maupassant, Sigolène Vinson, Shakespeare, Baudelaire, Rimbaud. La musique bien sûr, qu'elle soit rock, française ou classique : les Doors côtoient Brassens, Beethoven, Renaud et Mozart. Le cinéma de Woody Allen, Zeffirelli, Al Pacino... 
Il nous offre une ode magnifique à l'art et à ce que l'art sauve de nos vies. Et qu'importe ses formes pourvu qu'elles soient justesses. Pourvu qu'elles disent nos colères, nos fureurs, nos folies, nos douleurs, notre mélancolie, nos silences. Pourvu qu'elles soient multiples et fondatrices. 

“ Le seul salut, c'est l'art. ”

Ils ont ce point commun qu'est l'urgence, Nicolas et Patti Smith. Elle, l'urgence de la musique, d'y convoquer celles et ceux qui ont fait sa vie et lui l'urgence de l'écriture. De les écrire eux. De les dessiner à travers les mots. Et les deux mis ensemble offre une sorte d'Opéra Rock. 
Alors dans cette salle de concert, nous explorons avec lui le passé. L'avenir. Les grandes questions qui taraudent. Notre être, notre âme se soulèvent à l'unisson. Au rythme de la musique, de l'art et au rythme de ses mots, poétiques, mélancoliques avec cette pointe d'humour que le caractérise. C'est alors qu'une chose m'a frappée, qui m'avait jusqu'ici échappée. Cette séance de spiritisme nous la vivons. C'est un chant incantatoire, que l'on lit à voix haute. Ce n'est pas l'effet Patti Smith. C'est l'effet Nicolas Houguet. Il a réussi à retourner la situation le bougre ! À mesure que les chapitres avancent c'est nous qui entreprenons un voyage, puissant, irréaliste, mystique vers nous-même. Car il y a en cet homme probablement un peu de nous tous. Nous sommes uniques oui, mais semblables dans nos sensibilités, nos références ou encore nos manières de voir et d'appréhender le monde parfois. 

De ce récit intime qui prend sa source dans ce concert de Patti menant à E., à eux, à lui, il est parvenu à quelque chose de foutrement universel. 

L'Albatros est ce livre non pas de la rupture amoureuse et du bilan mais de la naissance. De ce point précis où l'on comprend. Tout. Où l'on ferme la porte délicatement et tendrement sur le passé, en gardant en mémoire l'essentiel, pour tendre les bras vers cet infini devant nous. 
L'Albatros est un hommage aux passeurs. Aux ivresses. Aux colères. Aux révoltes. À la fragilité. Aux amours. À tout ce(ux) qui nous habitent et nous forgent.

“ On est pas tenus d'être des ombres soumises dans les bas-fonds de Metropolis. 
« People have the power. » 
Le point levé. Réclamer son droit à rêver, à régner par le sublime et par la générosité, la grandeur d'âme qui rend radieuse la pire des détresses.
Ce n'est pas une révolte, c'est une révolution. ”

Ce livre est celui de la liberté. Folle.
Ce livre est celui de l'envol, d'un homme. 

Commentaires

  1. Cet article... Finalement plus qu'une chronique, c'est une véritable histoire d'amour !

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    1. Ah, tu trouves ? Moi qui pensais avoir garder une certaine distance... ahah, raté
      Une vraie belle histoire d'amitié en tout cas. On s'est bien trouvés, je crois.

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