Le discours de Fabrice Caro : mordante observation de nos comportements

Le discours
Paru aux éditions Gallimard - Collection Sygne
208 pages


Noël approchant à grand pas, si vous avez envie de faire un cadeau qui fera rire, rire jaune, alors Le discours de Fabrice Caro pourrait bien être le cadeau parfait. 


Il est 17h56 lorsque Sonia lit le SMS qu’Adrien lui a envoyé « Coucou Sonia, j’espère que tu vas bien. Bisous ! ». Qu’est ce qui lui a pris d’écrire bisous avec un point d’exclamation ? Et puis c’est quoi cette non-question « j’espère que tu vas bien » ? Il avait pourtant tenu 38 jours. 38 jours avant d’envoyer un message. Et quel message ! Il s’en veut, se sent ridicule. Ridicule d’avoir écrit cela à la femme qu’il aime et qui lui a demandé de faire une pause dans leur relation.

“ Un jour tu te réveilles, Sonia, et tu ne supportes plus ça, le bruit que fait l'autre en buvant son café, tu ne supportes plus son éternel t-shirt, toujours le même, celui qui t'émouvait tant, le matin tu ouvres la fenêtre de la chambre parce que l'odeur de l'autre t'indispose, tu dis J'ouvre il fait un peu chaud, alors qu'on est en novembre et qu'il fait moins trois dehors, un jour un message de ton amie Laure à propos d'une vidéo de chat qui rate un canapé t'intéresse plus que l'homme que tu as en face de toi. La pause était déjà écrite dans tous ces petits signes que je n'ai pas su voir. ”

Il est 17h56, Adrien est attablé chez ses parents pour le traditionnel dîner familial parents, sœur, beau-frère. Couples modèles à tendance ça dégouline d’amour, c’est beau mais c’est insupportable
Il scrute son téléphone, attend une réponse, ressasse en regardant ce porte serviette à la forme un peu douteuse qu’il avait fabriqué étant enfant. Il cherche un moyen de sortir de table, régulièrement, ça turbine là-haut. Il n’a que faire des grands discours de son beau-frère-Ludo-hyper-génial-et-intelligent. Il n’a que faire du jus d’orange de sa mère. Celui qui remonte le moral. Il est bout du rouleau, tel un naufragé agonisant au premier plan du Radeau de la Méduse. Il pense à Sonia. À leur histoire. Leur rencontre. Leurs surnoms, plus aussi longs avec le temps et surtout moins tendres. Mon cœur d’amour. Mon cœur. Mon Adrien. Adrien

Pourquoi elle ne répond pas, Sonia ? Que peut-elle bien avoir à faire à 17h56 ? Est-elle avec un autre ? Trop de questions sans réponses. En parlant de question… c’est à ce moment précis, quand son cœur est éclaté, que Ludovic lui demande, pour sa sœur, parce qu’elle en serait heureuse, de préparer un discours pour leur mariage à venir. Décidément cette soirée est un calvaire ! Il ne voit pas quoi dire, au mariage d’une sœur qui oublie depuis toutes ces années qu’il n’aime pas les poivrons, qui lui offre chaque année des encyclopédies et qui en plus a, lui, le cœur brisé. Non vraiment, c’est le pompon ! 

“ Plus les minutes défilent et plus le stress me gagne et je les imagine à table, se demandant ce que je fabrique aux toilettes, et je n'ose même pas penser aux conclusions qu'ils tirent. Quand je reviendrai, ma mère me proposera probablement un jus d'orange pour mes problèmes intestinaux. Mais peut-être s'en fichent-ils éperdument, après tout je ne suis pas un élément de repas indispensable. Peut-être ne se sont-ils même pas aperçus de mon absence. Je pourrais très bien rester là, assis sur la cuvette, une heure, deux heures, trois jours, deux mois, et personne ne s'en inquièterait, aucun avis de recherche ne serait lancé, le monde continuerait de tourner sans moi et les années passeraient et les ères se succéderaient les unes aux autres, et un jour, dans des milliers d'années, lors d'un nouveau réchauffement climatiques, après la fonte du permafrost, des scientifiques me découvriraient, mon portable à la main, toujours sans le moindre message, et ils s'écriraient Les gars, venez voir ! Un chagrin d'amour zombie, on n'est plus armés contre ça ! ”

Ainsi, au fil du dîner, dans un huis-clos théâtral, où il imagine moult discours de mariage, nous suivons le monologue  intérieur d’Adrien, ses questions, ses souvenirs familiaux et amoureux, ses doutes, ses désirs. Mais également, ce mal-être profond qui l’habite, lui que personne ne voit. Lui, l’angoissé nocturne. Ses échecs, ses silences, cette incapacité à communiquer franchement. Ne pas faire de vagues. Jamais. S’effacer. Rester dans les clous de la bienséance sociale. 

Avec une absurdité délicieuse et une dose de ridicule réaliste, Fabrice Caro met le doigt sur nos comportements parfois insensés, désespérés (et désespérants). Contemporains. Notre auto-torture. Nos vides, nos manques, notre solitude pesante. Notre passivité. La tendresse familiale autant que sa toxicité. Il nous entraîne dans ce dîner délirant pour lequel nous sommes, comme son héros, dans l’incapacité de nous échapper et l’on devient bien vite accro à cette écriture bouillonnante dont on dévore chaque chapitre avec frénésie. 

Fabrice Caro a, selon moi, réussi avec Le discours, le pari de nous distraire autant que de nous ouvrir les yeux sur notre nombrilisme, notre propension au drame, nos actes et rencontres manqués. A mettre l'humain au centre. Avec mordant et piquant, il parvient à nous amener à rire de tout. Surtout de nous-même, et qu’est-ce que c’est bon ! 

Commentaires

  1. Comme toi, j'ai adoré. Ce serait vraiment dommage de se priver d'un tel plaisir de lecture !

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