Trop de lumière de Marinette Lévy : dans les coulisses d'une âme

Trop de lumière
Paru en poche aux éditions Pocket
224 pages

Depuis sa sortie, Trop de lumière me faisait de l’œil, je trouvais en plus qu'on en avait bien peu parlé, ce qui n'était pas pour me déplaire. Et puis, il y a eu les chroniques de Nicolas sur Addict-culture, sur son blog. Sa façon de m'en reparler souvent. Il était temps de l'ouvrir. Il était temps de découvrir Marinette Lévy.


“ Je réponds, souris, remercie, lève les bras, pivote d'un quart de tour, je me plie aux exigences de tous et de chacun pour une seule et bonne raison : cacher ma propre misère comme on couvre un bouton d'acné bien mûr sous une couche épaisse de fond de teint en sachant bien que si cela ne guérira pas, au moins il sera un peu camouflé. Voilà, comme un vilain point noir au milieu du visage le soir d'un premier rendez-vous, je voudrais ne pas être vue. Dommage, je m'apprête à être seule sur une scène un jour sur deux, deux heures par soir davant 5 000 personnes en moyenne pendant les six mois à venir. ”

Léo, célèbre chanteuse depuis plus de quinze ans, invitée des émissions et plateaux TV en tout genre tel que le bien connu fauteuil rouge du dimanche après-midi sur la chaîne publique, doit faire face à la mort. Celle de son plus vieil ami, Alban. 
Celui qui un jour de rentrée à l’école, au CP, lui avait pris la main et séché ses sanglots. De ce jour-là était née leur amitié. Mais celui aussi qui bien plus tard, après l’innocence, a sombré dans l’alcool et la drogue. 
La mort donc, celle qui rappelle à tout être sa condition. La célébrité n’y pourra rien. À peine atténuer la douleur, le vide, dans le tumulte des préparatifs d’une nouvelle tournée. La mort, encore dans l'air et ce rapport d’autopsie qui vient enfoncer le couteau dans la plaie. Encore vive. L’overdose, le squat qui pue, la baise avant la mort. Avec cet inconnu peut-être croisé au détour d’une rue. 

Léo, cette célèbre chanteuse pour laquelle il est bien difficile d’avoir une quelconque empathie. Pour le moment. Cette chanteuse égocentrique, tyrannique, bien souvent détestable avec le petit personnel à son service, à commencer par Brigitte, sa fidèle et courageuse assistante depuis tant d’années. Le monde des faux-semblants brille sur le visage de cette star de quarante ans qui voit son corps changer, s’affaisser. Mais les gens l’acclament, ils hurlent son nom. Tapent, tapent des pieds dans les salles de concerts. Et les hommes se laissent manger, par cette sorte de mante religieuse au charisme envoûtant. Ni ses fans, ni ses amants, ni ses amis qui n’en sont plus vraiment désormais, ne voient pourtant ce qu’elle est vraiment, ce qu’elle tend à devenir. Personne ne perçoit son épuisement lancinant. Au point de ressentir les vertiges, au point de penser à la ménopause. Au point de tirer sur cette corde usée du corps, de l’esprit, de tout. Mais il faut poursuivre, pour les fans ou par habitude, ne rien laisser paraître. Entretenir le beau, et surtout le faux. Tromper ce monde un peu idiot, et se tromper soi-même. Le sourire mécanique. Mais l’intérieur qui crève à petit feu. Sauf un endroit, où il semble encore avoir de la place pour la vie. La révélation après avoir vu la mort sur le visage d’une jeune leucémique. Une jeune fille qui la hantera. À chaque concert, dans chaque lieu. Le repos qu’elle avait trouvé à ses côtés, deviendrait-il son éveil ? Est-ce seulement elle qu’elle entrevoit ou est-ce plus profond, plus essentiel ? 

“ Pour eux, je suis un roc. Incassable. Je suis un grand arbre aux racines solidement ancrées dans la terre. Je me suis fabriquée d'un bois si dur que rien, jamais, ne pourrait me briser. On s'appuie sur moi. Mes bras multiples et forts soutiennent, mes feuilles luxuriantes protègent de l'ombre et de la pluie. C'est moi qui engage, moi qui initie, moi qui donne et moi qui reçois. M'aimeraient-ils autant, mon public et mes amis, s'ils savaient ce qui grouille de terreur et de trouble dans ma sève ? Si je leur disais, croiraient-ils seulement que les fameux témolos qui font la particularité de ma voix ne sont que le grincement de mon écorce chaque jour plus épaisse ? ”

Trop de lumière, aveuglante. Qui fausse le vrai, détourne ce que l’on refuse de voir. Trop de lumière qui repousse le moment de la prise de conscience. Mais le corps, toujours, est là pour le rappeler. Si l’esprit ne réagit pas, le corps lui se changera de le faire. 

Dans les coulisses de la vie de paillette, les confessions d’une star clairement antipathique finissent par nous laisser entrevoir toute la sensibilité qui se tapit au fond de l’être. Si j’avoue plus d’une fois avoir eu envie refermer ce livre, excédée par la méchanceté gratuite de Léo, je dois admettre aussi avoir été cueillie alors que je ne m’y attendais plus. Et c’est à ce moment précis que la magie opère entre Léo et moi, entre Marinette et moi aussi. Ce moment où Léo crève l’écran par sa faiblesse, par sa sincérité. Celle que j’attendais de voir arriver, impatiemment. Celle qui bouscule tout. Qui révèle la beauté de l’être. Quatre…Trois…Deux…Un… Levé de rideau, la salle est vide et ne reste que le tête-à-tête avec soi-même. L’introspection qui démarre, la lumière qui n’éclaire non plus la star mais l’âme qui la compose. Et le vide au bord duquel danse cette âme perdue. Désabusée de cette vie préfabriquée. Qui lui convenait. Avant. Avant que la mort ne frappe d'un peu trop près. Que les fondations ne se fissurent. Et que nous plongions avec elle dans ces tourments et cet Enfer doré. 

“ Faut-il toujours choisir entre vivre et être heureux ? Alban avait du mal à faire les deux. Moi aussi, finalement. Chez certains êtres, la vie et la mort se tiennent parfois la main aussi fort qu'Alban et moi nous sommes agrippés l'un à l'autre, résolument, dès le premier jour, pour affronter l'école, puis plus tard, pour supporter le reste. ”

Il y a finalement bien des thèmes abordés dans ce court roman. Celui bien sûr du monde artistique dont on ne se rend pas forcément compte lorsqu’on ne le côtoie pas mais aussi celui tout aussi important de la perte, de l’absent. Par la mort ou l’éloignement. L’absence laissée par l’ami, le frère. Le gouffre. Et enfin les années auxquelles on ne peut échapper. Qui s’incrustent dans la peau. Finalement Trop de lumière est un peu tout le temps qui passe, qui... ne se rattrape guère. Et… tout le temps perdu, qui... ne se rattrape plus.

Commentaires

  1. Pas du tout entendu parler de ce roman. Je suis tentée. Merci pour la présentation.

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    1. Et oui malheureusement je trouve qu'on en a trop peu parlé.

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