Les indifférents de Julien Dufresne Lamy : Sea, sex and sun ?

Les indifférents
Paru aux éditions Belfond - 336 pages

Il vous est probablement arrivé de vous arrêter sur la couverture d'un roman parce qu'elle sentait bon l'été et la légèreté. Peut-être même que vous l'avez acheté. Mais ne vous a-t-on jamais dit qu'il ne fallait pas se fier aux apparences ? Ouvrez donc Les Indifférents de Julien Dufresne Lamy et vous verrez...


“ Je n'ai jamais fait partie d'un groupe. Je préfère les amitiés seules. Les murmures, les gestes dans le noir, les aveux courts. Le groupe, je ne suis pas taillée pour. Je ne crois pas aux idéologies, aux foules organisées, aux amen scandés docilement qui s'enracinent dans les têtes.
Mon corps est athée.
Avec Théo, Léonard et Daisy, on forme un clan pourtant. On vit de façon fusionnelle depuis quatre ans. Il y a des rituels, des processions, nos yeux ressemblent à des mots d'amour. Chez nous, la vie de groupe est devenue une seconde nature. Jamais de heurt et de chardon. On grandit et on s'aime à en crever.
Je suis devenue croyante. ”

Justine et sa mère quittent leur vie passée et les mauvais souvenirs qui vont avec. Ceux d’un père qui a trahi, blessé, qui n’a jamais su être proche de sa fille. Elles tracent une grande diagonale. De l’Alsace, elles partent au Cap-Ferret. Tout recommencer, tout bâtir dans ce lieu inconnu ou presque, car la mère de Justine a bien connu cet endroit lorsqu’elle était plus jeune. 
La mère justement se fait embauchée en tant que comptable auprès d’un riche notable de la région, Paul Castillon. Mère et fille intègrent ainsi la maison familiale de cet homme. L’aile des employés, n’exagérons pas tout de même, la femme de Paul ne supporterait pas de les avoir trop souvent à leur table. 
Théo, le fils, va peu à peu apprivoiser Justine, cette jeune fille très discrète et renfermée. Il va lui présenter ses amis, à commencer par Léonard. Tous deux, pour l’intégrer à la bande vont la bizuter durant plusieurs jours. Ce n’est qu’après cela qu’elle pourra rejoindre sereinement « Les indifférents » : Théo, Léonard et Daisy. 
Ensemble, soudés, ils sont la famille que l’on se choisit. Présents qu’importe les épreuves, les blessures, les chagrins. Ensemble, ils sont ceux que tout le monde envie, ceux qui organisent les plus belles soirées, où la descendance de la bourgeoise s’alcoolise sans jamais se soucier des conséquences. Ils sont ceux qui n’ont pas de limites, jamais. Comme leurs parents avant eux. La complicité est belle à voir. Mais jusqu’à quand ? Car il se pourrait bien qu’une rencontre change la donne. Une rencontre qui rappellera à Justine son milieu d’origine. Une rencontre qui pourrait bien faire éclater la joyeuse bande…

Au démarrage de ma lecture j’avoue avoir été un peu sceptique mais de fil en aiguille Julien Dufresne Lamy a réussi à m’embarquer sans concession auprès des Indifférents grâce au suspense, à ces morceaux d’énigmes qu’il distille entre chaque chapitre qui nous annoncent un événement grave et qui parviennent à tenir en haleine jusqu’à la dernière page dont je suis ressortie déboussolée. 
À bien des égards, j’ai retrouvé des fragments de mon adolescence. De ces groupes qui vous malmènent parce que vous ne venez pas du même monde ou tout simplement parce que vous ne leur plaisez pas assez. De ces soirées aussi sur la plage, l’été, entre amis. Ces amours d’été, éphémères mais qui restent des souvenirs gravés bien des années plus tard car vous saviez justement qu’ils étaient éphémères et que cela les rendaient encore plus beaux. Ou encore ces erreurs d’adolescence. Il y a une sorte d’universalité dans l’histoire de ces Indifférents, où chacun d’entre nous peut se retrouver, par petites touches. 
“ Les riches ont beau être riches, ils transpirent comme les pauvres. Il ne faut pas croire. [...]
Ils angoissent au fond du lit, quand la nuit avance sans eux. Les mêmes tracas, des pulsions de vide. Ils ont des désirs aussi.
Ils font l'amour comme les autres. Pas de différence dans les chambres aux volets clos. Ils s'y mettent avec labeur et beaucoup de frustrations. La bénédiction divine quand ça arrive, quand c'est bien fait, planètes alignées, petit orgasme dare-dare étouffé dans l'oreiller. Ils se regardent dans le miroir. Matin et soir. Le visage qui tombe, les taches sur la peau, les rides profondes comme des rivières. La mémoire qui se barre, les ventres qui faiblissent, l'assurance qui fout le camp. C'est partout pareil, la vieillesse et la vie. ”
Sans jamais tomber dans les longueurs, l'auteur fouille avec précision la psychologie de ces adulescents mais aussi des adultes – modèles de conduite, vraiment ? – que l’on aime autant que l’on déteste. L’hérédité féroce sur fond de critique sociale : on ne mélange pas le petit peuple et la bourgeoisie. Cette dernière qui s’en sort toujours, grâce à quelques contacts bien placés. Oui, il y a autre chose que l’adolescence ici, il y a le monde qui gravite autour, qui dégouline de mensonges, de non-dits qui enserrent le cœur, de manipulations, de jeux de pouvoirs servis par une plume franche et vive. 
Les Indifférents, par sa belle couverture ‒ qui nous fait parvenir aux narines la bonne odeur d'iode, aux oreilles le doux bruit des vagues et sur la peau le soleil apaisant ‒, son histoire adolescente, son insouciance, pourrait laisser penser qu’il s’agit là d’un chouette page-turner pour l’été et s’il est vrai que l’on tourne les pages avec avidité grâce aux chapitres courts, qui tiennent parfois sur une page, et au style haletant, le dénouement final et l’ombre qui plane sur ce groupe devenu animal pourrait bien vous faire mordre le sable…

Une lecture accompagnée d'une mini playlist ...

Boys and Girls de The Cure
Teenage kicks de The Undertones
Playground love de Air
Ocean de Lou Reed
Please, please, please let me get what I want de The Smiths
New kid on town de Eagles
Thirteen de Big Star
Run, run, run et Sister Ray de The Velvet Underground 

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