Autour d'un roman : Diên Biên Phù - rencontre avec Marc Alexandre Oho Bambe [Partie 2]

Capitaine Alexandre
© Léa Desrayaud

Partie 2 de ma rencontre avec Marc Alexandre Oho Bambe du 10 mai à Lille, autour de son roman Diên Biên Phù (vous pouvez retrouver la première partie "Le off du roman" ici). 


Revenons sur votre héros, n’y a-t-il pas un peu de vous dans Alexandre, notamment dans son rapport à l’écriture ?

Oui il y a beaucoup de moi dans Alexandre, pas seulement dans le rapport à l’écriture mais aussi dans le rapport à la vie, au monde. C’est quelqu’un qui regarde, observe le monde et à partir du moment où il est touché, il s’engage. Et je suis un peu comme ça dans la vie, je ne crois qu’en ce qui transperce mon cœur et dès que c’est fait, je m’engage, à ma manière. Et depuis que je suis papa, je m’engage pour, je ne m’engage plus contre. Nous avons des points communs en effet, et le même geste vital, l’écriture, dictée par le cœur qui bat et combat pour ce en quoi nous croyons.

En même-temps, peut-on écrire sans mettre de soi…

Je ne crois pas, enfin je ne sais pas, peut-être qu’on peut mais je vais répondre en mon nom et celui de quelques auteurs que je connais et fréquente. On écrit toujours sur soi ou à partir de soi, à partir d’un lieu. Une enfance, une mémoire, un pays, une ville mais qui sont ancrés en nous. Un amour, une amitié… Je ne sais pas si on peut écrire en dehors de soi, je n’en suis pas convaincu. Même quand je suis dans un exercice journalistique comme il m’arrive parfois de le faire, il y a toujours ma subjectivité,  donc je suis toujours là même si je croque l’actualité de la semaine. C’est ma semaine, pas la semaine, ne serait-ce que dans les choix éditoriaux que j’ai fait.


Vous êtes également poète et slameur, qu’est-ce qui vous a donné envie de passer à la forme romancée. Vous parliez de cette envie d’écrire une histoire d’amour. N’y a-t-il que ça ? Ou est-ce aussi une envie d’explorer autre chose ? 

Non, je n’avais pas envie d’explorer autre chose. Disons qu’à 16 ans je rêvais de devenir écrivain et je n’avais pas de plan B, aucun – enfin si, à un moment je voulais être footballeur mais je n’étais pas discipliné donc ça a vite été réglé (rires) – je ne savais pas que j’écrirais de la poésie. Et puis j’ai perdu ma mère et la poésie a pris toute la place. J’ai publié de la poésie avant de partir du Cameroun, j’en ai publié quand je suis arrivé en France. En tout, six livres qui sont des recueils de poèmes et un essai poétique-politique. Venir au roman, c’était revenir à un rêve originel, un rêve d’ado. Pour moi être écrivain, à 16 ans, c’était être romancier. Un écrivain c’est quelqu’un qui écrit des romans, des livres d’aventures. A la maison j’avais Hemingway, Camus, Chinua Achebe, et d’autres, tous ces auteurs-là, romanciers qui peuplaient la bibliothèque de ma mère et la mienne par la suite, je voulais leur ressembler. Puis après il y a eu ce que j’appelle « mon trou fondateur », la perte de ma mère, et il n’y a eu que la poésie pour combler le vide. René Char, Césaire, Depestre… j’ai commencé à écrire mes premiers textes avec la conviction que je pouvais continuer à dessiner son visage, grâce à mes mots. Le roman m’a permis de questionner, d’aborder certaines thématiques, au long cours, d’avoir le temps que je n’ai pas ou ne prends pas forcément quand j’écris de la poésie. 
“ J'attends. J'entends. J'apprends. Ressens.
Je respire et j'espère. Le meilleur ou le pire.
C'est bon qu'un être vous manque comme elle me manque.
Cela aide à vivre. Ou à ne pas mourir. Cela aide à se poser, se recentrer, se réinventer, avancer vers soi, goûter la clarté de chaque jour, quêter chaque signe de vie autour de soi, guetter partout le sourire en coin d'une amoureuse amie, mie d'une nuit ou d'une vie. ”

Alors vous devancez mes questions… (rires) parce qu’il y en avait une qui était « quelles sont vos références ? », vous avez parlé de Camus, Hemingway, dans votre livre vous parlez de René Char, Aragon, Césaire…

Paul Eluard, Mahmoud Darwich, il y en a beaucoup… J’ai parlé d’Edouard Glissant tout à l’heure que je ne cite pas dans le livre mais qui, dans la philosophie de ce texte, est présent de manière de très forte avec la relation, la pensée archipélique, avec ce qu’il a appelé lui la « créolisation du monde » c’est-à-dire des cultures différentes qui se mêlent, se mélangent et créent une nouvelle culture, imprédictible, faite de toutes, des parts belles de chacune.


Votre roman, je trouve, amène à le lire à voix haute pour en mesurer toute la force et la musicalité. 
D’ailleurs, vous êtes actuellement en tournée pour présenter Diên Biên Phù et vos rencontres avec les lecteurs se font en musique. Est-ce Capitaine Alexandre (nom de scène) qui slame ou Marc-Alexandre qui lit ? 

Bonne question… Je pense que sur scène, lors des festivals littéraires ou des salons du livre, quand je dis le texte en musique ou a capella je laisse la place à mon double scénique. 
C’est une question que je ne me pose pas quand je porte mes poèmes à la scène. Je les porte en tant que Capitaine Alexandre, mais là effectivement je me la suis posée et finalement on est arrivé à « Diên Biên Phù le récital d’après le roman de Marc Alexandre Oho Bambe », et dans la distribution des personnages, Capitaine Alexandre a le rôle d’Alexandre, ce qui n’arrange pas ma schizophonie (rires). 
Mais ceci dit, je lui ai chipé la vedette il n’y a pas très longtemps. J’ai lu un extrait en tant que moi-même (rires).



Dernière question, vous disiez tout à l’heure que vous étiez en pleine écriture… Deuxième roman, recueil de poésie ?

Plusieurs livres sont à venir. Un prochain recueil de poésie fin mai, dont le titre est Ci-gît mon cœur, à La Cheminante. Et puis un recueil de nouvelles et un autre roman, en cours d’écriture. Je suis en phrase et en phase avec moi-même, j’en suis très heureux, je bouillonne de mille idées, j’aime ces périodes, je les accueille. Sourire aux rêves.


Marc Alexandre Oho Bambe de son nom de scène Capitaine Alexandre est né à Douala au Cameroun. Il a fondé le collectif On A Slamé Sur La Lune qui a pour objectif de sensibiliser le public à la poésie, aux dialogues culturels.
Il est poète, slameur et désormais romancier mais également journaliste. 

Ses précédentes parutions : ADN (Afriques Diaspora Négritude) aux éditions La plume de l'Ange (2008), Le Chant des possibles aux éditions La Cheminante (2014) qui a obtenu le Prix Fetkann de poésie en 2014 et le prix Paul Verlaine de Poésie de l’Académie Française en 2015, Résidents de la République aux éditions La Cheminante (2016), De terre, de mer, d’amour et de feu aux éditions Mémoires d'Encrier (2017).

Diên Biên Phù aux éditions Sabine Wespieser est son premier roman. Il est dans la sélection du Prix Louis Guilloux et fait partie des six finalistes pour le Prix Orange du Livre.

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