Fugitive parce que reine de Violaine Huisman : amour et folie

Violaine Huisman
Paru aux éditions Gallimard - Janvier 2018
256 pages

“ Qu'est-ce qu'on garde d'une vie ? Comment la raconter ? Qu'en dire ? Est-ce qu'une vie compte autrement que dans l'enfantement ou la création ? Quelle vie vaut la peine d'être retenue ? De qui se souvient-on ? De qui se souviendra-t-on ? ”

Novembre 1989, chute du mur de Berlin. Mais ici en France, une autre chute se profile sous les yeux impuissants de deux petites filles, Elsa et Violaine. Cette chute est celle de Catherine, leur mère, qui sombre dans une telle folie que l’internement est inévitable. Elle n’en pouvait plus, un trop de plein de douleur dans son corps. 
Elsa et Violaine ont toujours connu leur mère dans cet état. La dépression, les accès de violence, les cris. L’amour aussi, incontrôlable, débordant, maladroit. Violaine retrace cette enfance entre deux eaux. Cette femme d’une beauté à couper le souffle qui renferme tant de malheurs dont elle n’a jamais su se débarrasser. Un passé trop lourd, une vie saccagée que ses filles ne réussiront pas totalement à sauver. 

Les mots sont crus, Violaine Huisman ne prend aucun gant, elle déplie les souvenirs en puisant dans ses tripes, on sent qu’elle a dû se faire violence pour réussir à sortir, à partager ces années de tourments autant que d’amour. Et elle parvient à le faire sans sombrer dans le larmoyant. 
Oui mais voilà, plus j’avance dans ma lecture et plus je me dis que je connais cette enfance, elle n’est pas la première à décrire une mère dépressive, extravagante, torturée.  Et puis d'un coup, d'un seul, sans que je m'y attende, un électrochoc. Une phrase, un passage, tout petit, au milieu de ces descriptions de vie foisonnantes, qui me raidit instantanément. Elle a ouvert les vannes. Au point de me planter une aiguille dans le ventre. Si proche finalement de ce que ce fut vraiment. La vieille cicatrice que l'on camoufle, la plaie qui se réouvre, qui saigne de nouveau, je me souviens qu'une amie a fait les frais de mon ressenti immédiat. Mais au point aussi de ne plus savoir m'arrêter de lire. Dès lors, j'ai aimé un peu plus Catherine ou du moins je l'ai comprise un peu plus. C'était au début de la deuxième partie. Quand Violaine Huisman inverse les rôles. Qu'elle opte pour le point de vue de sa mère. C'est là que la rencontre a eu lieu entre elle et moi. À ce moment précis où inévitablement son histoire et la mienne se croisent en quelque sorte.

“ Maman était une écorchée vive. Tout au long de sa vie elle avait tenté de recouvrir son corps dépouillé à travers l'étreinte et la parole. Or s'il y a deux choses au monde dont on peut affirmer avec certitude qu'elles sont imparfaites, qu'elles ne répondent au désir qu'en démontrant son martyre, c'est bien l'amour et le langage. ”

Alors les mots s'enchaînent, s'envolent, se font violence, folie, amour, liberté. Comme Catherine, cette reine jamais rassasiée de vie, d'envie, de grand, de beau. Hystérique, amoureuse. Droguée, passionnée. Sexuelle. Danseuse à la beauté inouïe. Sans concession. Avide de plaisir. Avide d'amour pour ses filles.
Mais aussi trompée. Trahie. Bafouée. Rejetée par une mère, brisée par un père. Soufflée par une maladie. Manipulée parfois autant qu'elle est manipulatrice. Aussi libre que dépressive. Jusqu'à la folie. 
Les fissures apparaissent, s’agrandissent sous la plume de sa fille qui devient biographe de cette reine. Comment maintenir le cap quand on a tant souffert ? Quand le cœur puis la tête et le corps lâchent prise, comment tenir debout ? Peut-être grâce à l'amour maternel et filial car Violaine dit aussi à quel point ce lien entre elles trois était fort, indéfectible. A quel point Catherine rêvait pour elles d’un avenir bien différent de cette vie qui glissait sur elle. Mais la mort rode. Et vient l’après. Alors Violaine replace le « je », une dernière fois. Pour rendre hommage et trouver sa place au creux du vide que cette mère a laissé derrière elle. Et elle nous offre des pages d’une beauté surprenante qui transpirent d’amour, qui disent que non, elle n’aurait pas voulu d’une autre mère, « maman restait à mes yeux plus héroïque que quiconque. Maman était mon héroïne, un point c’est tout. ». 

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