Les déraisons de Odile d’Oultremont : colore en bleu de ciel

Les déraisons
Paru aux éditions de L'Observatoire - 224 pages


On m'avait prévenue, on m'avait dit que je l'aimerais ce roman, que j'y retrouverais cette fantaisie qui me plait, que je succomberais à Louise. On m'avait prévenue mais quand même ... 


Faites entrer l’accusé. Adrien. Cet homme discret a perçu durant un an un salaire alors même qu’il ne se rendait plus au bureau. Comment est-ce possible ? 
Pour le savoir il faut avancer, tourner les pages. Découvrir Louise, et Adrien. Leur rencontre, l’aventure d’une vie. 

“ Peu importe où ça la mènerait. Elle ne se souciait pas de la minute qui suivait, mais du moment, de l'exacte seconde où les choses se situaient. « Être là », c'était sa came, sa défonce, son jus viscéral. ”
Alors qu’il doit prévenir, d’un discours bien rodé, les habitants du quartier qu’une coupure d’eau va avoir lieu, Adrien sonne chez Louise. Un curieux bout de femme haut en couleur, bien loin de réagir comme l’ensemble des autres voisins. Il aurait pu prendre peur face à cette femme déconcertante. Il aurait pu la prendre pour folle. Il aurait pu oui mais il a préféré l’aimer. Car Louise a instantanément remis de la couleur dans le quotidien terne d’Adrien. 
Lumineuse, colorée, Louise danse avec Le-Chat (son chien) au son d’Aretha Franklin. Elle promène ses pinceaux sur des toiles vierges. Elle ajoute une pointe de colorant dans son dentifrice pour mieux faire passer le rituel du brossage. Elle choisit une voyelle par jour comme une ponctuation de fin de phrase. Elle invente pour embellir le monde. Le sien, le leur. Par touches de fantaisie.
Louise, tableau lumineux, abstrait mais vers lequel nous sommes irrémédiablement attirés. Un tableau tout en nuance, de bleu, de vert, de rouge, de jaune. De vie !  

Il la quitte chaque jour pour se rendre dans cette grande entreprise en restructuration où le bon petit soldat devient peu à peu un numéro. Invisible. Les déraisons de l’entreprise. Alors le jour où la toux de Louise se fait de plus en plus inquiétante, il l’accompagne chez le médecin. Une première fois, puis une seconde. Puis à chaque rendez-vous. Les poumons de Louise sont mal en point. Ne tournons pas autour du pot, c’est le cancer qui grignote. Vicieux. Pourri. 
Alors pour ne pas flancher, pour ne pas que la peur et la peine aient raison d’eux, même si les jambes flanchent, Louise continue de peindre coûte que coûte et Adrien invente à son tour une bulle colorée. Pour un sourire. Celui de Louise. Sa douce folie s’immisce en lui, comme une reprise de flambeau. Une preuve d’amour. La plus belle, la plus juste. La plus puissante. Sans mot, juste le faire, comme une promesse qui signifierait « ne t’inquiète pas mon amour, je suis là, je t’ai entendue. ». La folie douce comme rempart contre la maladie. Jusqu’au bout.
“ - Qu'est-ce que tu fais ?
Le plus naturellement du monde, elle désigna le flacon.
- Mon chéri, je te présente Docetaxel. Docetaxel, voici mon mari, Adrien.
- Salut, Docetaxel.
- C'est lui qui est chargé de dégommer mes Honey Pops.
- Bien. On compte sur vous...
- Tu peux le tutoyer, tu sais. ”

Et puis le tribunal, parce qu’il a déserté, par amour. Petit soldat, pantin, relégué au placard dont personne ne se souciait. Mais vous comprenez, il a triché. Même par amour. 
En lisant ces déraisons – celles du monde et de l’Homme – on est piqué au vif. Même là la critique sociale est douce, et colorée. Et ces êtres un peu dingues dansent autour de ce monde délavé.

En lisant ces déraisons - celles qui caractérisent Louise et Adrien - cette folie de vivre en arc-en-ciel, d’aimer fantasque, sans lois, sans limite, sans se soucier des règles, des ordonnances, des diktats, de ce que la société autorise ou non, sans se soucier des autres, irrémédiablement j’ai pensé à lui. A cette chanson, à ces paroles. Peut-être trouverez-vous cela un peu niais, peut-être mais qu’importe. C’est à Brel que j’ai pensé. Quand on n’a que l’amour / Mon amour toi et moi / Pour qu’éclatent de joie / Chaque heure et chaque jour … Quand on n’a que l’amour / Pour vivre nos promesses / Sans nulle autre richesse / Que d’y croire toujours. Je les voyais danser. Je voyais Louise virevolter, ses petites fleurs dessinées sur son crâne nu se mouvoir au même rythme. J’avais envie de lever mon verre, à eux, parce que c’était fou oui mais beau. La folie essentielle pour vivre et rendre vivant.  La beauté enchanteresse d’un amour inconditionnel. 
“ Ce matin-là, Adrien beurra les tartines mais Louise ne descendit pas, elle n'avait pas la bouche colorée, elle ne dansait pas non plus, elle ne faisait rien. Elle étirait sa nuit, lui rajoutait des minutes inventées, malgré les prémices de l'été. Louise était en hibernation, ses yeux clos avalaient des parties de matin. ”
Mais aussi la beauté enchanteresse d’une écriture, qui tournoie, qui avec notre langue est capable de d’inventer un autre langage. Kaléidoscope d’émotions suscité par la poésie et la fantaisie d’une langue éclatante. Les mots dansent le cha-cha-cha dans un univers singulier qui n’appartient qu’à Odile d’Oultremont. Et à nous lecteur, le temps de 210 pages.

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