Éparse de Lisa Balavoine : décortiquer les fragments de l’intime

éparse Lisa Balavoine
Paru aux éditions JC Lattès - janvier 2018
250 pages

Ce roman, que dis-je cet OVNI m’a fait de l’œil dès sa sortie. Et lorsque j’ai vu que Lisa Balavoine était originaire des Hauts-de-France je n’ai plus du tout hésité. Une thématique alléchante, une auteure régionale … oui exactement vous voyez où je veux en venir. Roman parfait pour la chronique TV. Mais alors j’étais loin d’imaginer qu’il me ferait un tel effet. Qu’il me marquerait autant par sa puissance et son audace. Et là, je vous assure que je fais moins la maligne à l’idée de devoir en parler en direct jeudi ! 


J’ai presque envie de juste écrire « LISEZ-LE ! » parce qu’il peut être difficile d’en parler tant il est intimiste pour elle et pour nous. Parce qu’on a envie de l’apprendre par cœur mais aussi de le garder pour soi. Alors oui, lisez-le absolument mais je vais quand même tenter de vous expliquer pourquoi. Même si je sais qu’aucun mot ne sera assez juste, assez fort pour vous expliquer ce que j’ai réellement ressenti.  

“ Il serait question d’aimer, il serait question de raconter. C’est ce qui se fait de nos jours, raconter. Mettre en mots. Encrer. Déverser. La sueur, la moelle, le sang. Le beau comme le sale. Ce qui brûle là, au-dedans. Le vivant. Des histoires de rien, brodées de petits motifs, ajustées aux entournures, un peu lâches par moment. Des histoires de rien, parce que le beaucoup n’est pas mon fort, parce que le plein je le connais mal, parce que je ne connais que le bancal, le boiteux, le casse-gueule, le branlant. ”

En ouvrant Éparse, on fait les gros yeux, que sommes-nous en train de lire ? Dans quoi l'auteure va-t-elle nous embarquer ? Embarquer c’est le verbe parfait, ou peut-être transporter … Toujours est-il que si l’on peut être déstabilisé dans un premier temps, on finit par totalement se fondre dans ses pages. Dans sa vie. Lisa Balavoine dresse les instantanés de ces quarante premières années de vie. Quelques dix ans nous séparent elle et moi et pourtant instantanément je me retrouve en elle. Elle jette là des bouts de vie. Elle décortique la vie. Dans le désordre mais qu’importe. On se nourrit de ses évocations de l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et surtout l’amour. On se nourrit et on transpose. 
Elle se livre sur cette relation complexe avec ses parents surtout avec la mère, cet amour balloté. Le réconfort des grands-parents et ce grand-père si important qui un jour oublie qui elle est. La connaissance de soi, adolescente mais aussi adulte. Elle raconte les draps froissés. Elle raconte sa maternité. Son rapport au corps, sa féminité, ce temps qui glisse sur sa peau et qui marque. Elle raconte ses rencontres qui deviennent les nôtres. 
Elle raconte l’amour.

“ Tous ces gens qui me disent : « C'est impossible qu'il ne se passe rien pour une fille comme toi. » S'ils savaient à quel point je ne sais pas ce que c'est, une fille comme moi. ”

L’amour, le ciment de la vie, le ciment de ce livre. Parce que oui, un jour on aime, on construit une vie belle et douce, on fonde une famille. De cet amour infini que l’on pense intarissable. Et puis un jour on désaime. On désaime presque aussi vite qu’on a aimé « Jeune femme bien sous tous rapports quitte homme bien sous tous rapports. ». Oh Lisa, je n’aurai pas su dire plus juste.
Alors il y a les souvenirs qui tambourinent à la porte du cœur, les solitudes qui laissent le corps aussi froid que plein. Qu’importe si nous sommes celui ou celle qui part, il y a toujours ces fantômes, ces sentiments qui nous collent aux baskets. Ces et si, ces pourquoi.  Mais il faut avancer malgré les amours ratées, malgré une enfance bancale.
“ Et puis il y avait nous et ce grand vide après avoir tant partagé. Mais voilà la vie. La vie. Les erreurs. Les décisions. Les non-dits. Les si-j'avais-su. Les peut-être que. Les pourquoi. La vie. J'aurais voulu avoir les bons mots, les bons gestes. J'aurais voulu lui demander pardon. Je n'y suis pas parvenue. ”
Et puis il y a le sexe, la baise – oui pourquoi pas – toujours avec ce cœur guimauve. Seule ou à deux. Avec un homme ou une femme. Qu’importe le sexe pourvu que l’on vibre, pourvu que l’on ressente. Et puis il y a l’amour de nouveau, l’amant(e) que l’on devient parce que parfois la nuit on ment, l’amour que l’on réécrit. Un temps. Comme un cercle qui n’en finit plus. Une boucle aux nœuds multiples. Un espoir qui sans cesse se renouvelle, une étoile qui scintille à travers les nuages.
“ Je pose la main sur ta peau. Je caresse, je palpe, je tâte, je serre, je griffe, j’agrippe, j’attrape, j’empoigne, puis je relâche l’étreinte, lentement. C’est une peau-paysage, pleine de dunes et de plaines, emplie de forêts et de terres humides, à perte d’horizon et toujours en mouvement. C’est un voyage que j’entreprends, j’aborde ton mystère, j’accoste près de tes côtes, je m’enlise dans tes sables, je nage en eaux profondes, je me noie, je reprends mon souffle, je me noie encore, c’est indécent. […] je le sais, ta peau glisse sous mes doigts, elle m’échappe, elle se moque de moi, elle me défie de la retenir, de la goûter, de la pétrir, mais à la fin, elle se défile et je n’ai plus rien entre les mains que ce parfum inégalé, celui que le désir fait naître pour mieux me consumer. ”

Oui, ce roman est un album photo dans lequel se glissent les souvenirs heureux ou douloureux, les absences, les fragments d’une vie qui se superposent à la nôtre. Calque de nous-même. Mais plus qu’un album de souvenirs photographiques, c’est un album musical. La bande son d’une vie. Et qu’elle a bon goût Lisa Balavoine ! Portishead, Cat Stevens, Bashung, The Cure, Voulzy, Leonard Cohen, Brassens, Simon and Garfunkel, France Gall et j’en passe, j’en passe et j’en découvre. En soi ils ne sont pas de ma génération et pourtant ils sont mes références, mes intimes, mes quotidiens. Et viennent poursuivre, compléter et renforcer la musicalité des pages qui nous sont données à lire. 

Éparse, c’est parfois cru et drôle, comme l’est notre vie et toujours percutant. Il y a du Prévert dans ces mots là, mais il y a surtout du Lisa, du toi et du moi. Une écriture singulière faite d’anecdotes, de listes, de mots inventés car il n’est pas rare que ce que nous ressentions n’existe nulle part dans le dictionnaire. Une forme d’écriture déroutante frénétique mais si fluide, si prenante, si pure. Si libre finalement.
Éparse comme une musique de vie que l’on compose au fil du temps. Une partition que l’on ne déchiffre pas toujours. Inachevée. Mais qu’importe elle est belle et forte cette musique qui emplie notre cœur. Et qu’importe si tout est vrai ou non, l’important c’est ce que ce livre, cet OVNI littéraire nous fait ressentir. C’est ce coup qu’on se prend dans la poitrine, cet uppercut qui vous met KO. C’est ce sourire songeur aussi qui signifie « oh comme je vous comprends chère Lisa », « parle-t-elle d’elle ou de moi ? ». C’est ce sourire de partage, même quand c’est triste ou douloureux. Ce sourire fraternel. 
Désormais mon exemplaire paraît faire mille pages tant j’ai corné, souligné ces passages qui semblaient parler de moi. Je l’ai lu à haute voix, sauf dans les transports en commun mais juste par crainte d'être prise pour folle, je l’ai lu ici et là, partout, dès que je le pouvais. Il m’appelait. M’épuisait, me vidait. Disait tout ce que je ne sais pas dire. Tout ce que je n’ai pas le cran d’écrire par manque de mots, de talent ou par pudeur. Par peur d’aller fouiller, de faire sortir ce chaos, de remuer tout ça. Et même si elle et moi n’avons pas le même âge, pas la même vie, à quelques détails près, en la lisant, c’est mon reflet dans le miroir que je découvrais. 

Une lecture accompagnée de ...
La playlist que nous offre Lisa Balavoine, et que vous pouvez retrouver ici. Ne vous en privez pas, c'est 1h22 de bonheur !
Et parce que ce livre est un peu personnel pour moi aussi, quelques titres bonus :
On Powdered Ground d'Agnès Obel
Brush Air et Horse Gone Far de Puts Marie
Morning mais aussi The Man Who Owns The Place et Blues for Rosann de Balthazar
Sea of Love de Cat Power
Diamonds And Rust de Joan Baez
Long Haired Child de Devendra Banhart
That Look You Give That Guy de Eels
Nuits Fauve et Rub A Dub de Fauve
Nantes et At Once de Beirut (mais globalement tout Beirut)
Et je m'arrête là car la liste pourrait être longue...


Je partage ma région

Lisa Balavoine est Amiénoise d'origine et y vit encore aujourd'hui. C'est donc sans hésitation aucune que j'ai choisi de parler de son roman dans le cadre de ma chronique mensuelle sur la TV Régionale Wéo.



Commentaires

  1. Moi aussi j'ai adoré ! Une forme très libre, des émotions palpables, on se reconnaît, on pleure, on rit. Magique.

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    1. Entièrement d'accord Caroline. Ce livre est une merveille, je ne cesse de le dire et de le répéter.

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  2. Merci madame qui va encore me faire faire des craquages imprévus en librairie - maintenant je veux le lire !

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    1. J'ai réussi ma mission alors :) tu me diras si tu as succombé.

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  3. Quelle belle chronique ! Je ne serais pas allée spontanément vers ce livre, mais là...

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    1. Laisse toi tenter. S'il ne te plait pas, je te le rembourse !! ;-)

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  4. comme Delphine, ce n'est pas forcément un livre qui m'attire à la base, mais ton avis donne vraiment très très envie...

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  5. Magnifique chronique pour ce superbe texte ...

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