Ces rêves qu’on piétine de Sébastien Spitzer : un premier roman audacieux

Ces rêves qu'on piétine
Paru en août 2017 aux éditions de l'Observatoire
304 pages

Lorsque je l’ai vu dans le catalogue des Editions de l’Observatoire, je n’ai pas hésité. C’était une évidence. Le titre m’avait embarquée avant même que je sache de quoi traitait le sujet. Il y a parfois des évidences qui ne s'expliquent pas toujours. Et puis j'ai pris connaissance du thème. La seconde guerre. Un sujet traité à maintes reprises mais qui me fascine toujours autant. Qui me fascine autant qu’il me révolte, qu’il me prend aux tripes par son horreur, son inhumanité. Par ce que l’Homme peut et sait faire de pire. 


Contrairement à beaucoup de romans ou de livres historiques qui nous emmènent au cœur de la guerre, des camps ou de l’Occupation, Sébastien Spitzer s’intéresse à l’effondrement du IIIe Reich, à ses dernières heures. 
Il met en place un double mouvement, celui de la survie et celui de la mort en faisant s’élever les voix. Celles des victimes et celles des coupables.
“ Aujourd'hui, ces mêmes rues ne bruissent que de menaces, de cris, de slogans imbéciles, d'airs martiaux et de talons claqués à la mode impériales.
J'ai perdu l'appétit.
Je cache le peu de foi qui me reste.
Je suis en train de me perdre.
Je ne suis plus qu'un gaz. Un xénon dans ma ville. Un gaz peut-être noble, mais plus sûrement inerte.”
Les Allemands ont perdu la guerre, ils le savent, c’est une question d’heures désormais. Les soldats ont pour mission de faire évacuer les camps, de tuer les détenus, le plus grand nombre. Tous. De traquer les échappés. Il y aura Aimé, Judah, Fela. Autour d’eux graviteront la petite Ava, une enfant survivante, par miracle. Tour à tour ils sortent de l’ombre à travers la plume de Sébastien Spitzer pour raconter l’horreur vécue. 
En parallèle il y a le bunker dans lequel se replient les grands chefs du Reich. Hitler, bien sûr, Eva Braun, mais aussi Goebbels, Joseph, Magda sa femme et leurs cinq enfants, le plus âgé étant parti à la guerre. Eux aussi ont pensé à leur solution finale. Alors me direz-vous comment ses deux récits peuvent s’entrecroiser ? C’est là toute l’ingéniosité de l’auteur. Par le biais de lettres déchirantes appartenant à un certain Richard Friedländer qui écrit à sa fille. Une fille qui a renié ses origines et qui l’a renié pour la gloire. Une fille qui se prénomme Maria Magdalena Behrend. Une femme qui deviendra Magda Goebbels et qui fera tuer l’homme qu’elle aimait dans sa jeunesse, le père qui l’a élevé, les enfants qu’elle a mis au monde. Ava détiendra ses lettres porteuses d’inhumanité lorsqu’elle arrivera aux pieds des américains. 
“ Les mots qu'elle prononce sont des prières et des ponts. Des prières pour sa mère et des ponts jetés vers lui. Ava est celle poupée qu'elle décrit. Les adultes sont des marchands de poupées. Elle voudrait en être une parmi les autres. Pas celle que le marchant rejette. Pas celle qui lui fait honte. ”
Dans ce roman les femmes sont prédominantes. Sébastien Spitzer aurait pu choisir Hitler, Joseph Goebbels, un rescapé masculin mais il a choisi Magda la Médée, comme il l’appelle, il a choisi Fela ancienne prostituée des camps, Ava sa fille cachée issue d’une relation avec un nazi, et puis Lee la photographe de guerre. Il a choisi leurs combats, leurs déterminations comme pour donner un autre élan à ce récit, une autre force. Pour « astiquer les consciences », comme il l’écrit. 
Extrêmement bien documenté, Ces rêves qu’on piétine, nous donne à ressentir la douleur, la compassion et la solidarité qui gravitent autour de ces hommes et de ces femmes victimes de la barbarie. Et en s’immisçant dans la vie de Magda Goebbels, l’auteur nous donne à voir comment cette femme est devenue la première dame du Reich avide de pouvoir et de monstruosité. A travers son enfance pauvre, ses blessures, ses regrets, il nous dresse le portrait d’une femme à la fois fascinante et horrifiante, rendant le récit d’autant plus fort. 

Un premier roman audacieux, où le fictif que l'on ne soupçonne pas se mêle à l'Histoire avec ingéniosité. Un premier roman où rien ne sonne faux. Où dès la première page, dès les premiers mots le lecteur démarre en apnée. Cette construction courte et fluide nous fait peser chaque détail, chaque important détail de la trame qui se dessine sous nos yeux. Et l’on est immédiatement happé par cette sombre période. Ces rêves qu’on piétine est un roman à la maîtrise incontestable. Pas étonnant qu’il est obtenu le prix Stanislas du premier roman et je pressens que ce ne sera pas le seul.
Un des romans à découvrir absolument en cette rentrée.

Un grand merci aux éditions de L'Observatoire pour cette superbe découverte.



Une lecture dans le cadre de ma sélection rentrée littéraire 2017 comprenant également : 

Le camp des autres de Thomas Vinau
Pour te perdre un peu moins de Martin Diwo
Système d'Agnès Michaux
Les jouisseurs de Sigolène Vinson
L'invention des corps de Pierre Ducrozet
La ville sans juifs de Hugo Bettauer
Le livre que je ne voulais pas écrire de Erwan Larher
Demain sera tendre de Pauline Perrignon
Et bien d'autres encore ...


Un roman qui s'inscrit également dans la sélection des 68 premières fois.

Commentaires

  1. Réponses
    1. C'est que tu commences à me connaître ;)
      Difficile en même temps de ne pas être touché par ce livre.

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  2. je vais le lire bientôt, il m'intrigue énormément et puis j'ai entendu plein d'avis très enthousiastes à son sujet! (même s'il y a eu récemment quelques avis plus mitigés...)

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    1. Ah je vais suivre ça de près et scruter ton avis. Je n'ai pas lu d'avis mitigé mais du coup ça m'intrigue je vais aller jeter un œil. J'ai un peu de mal à me dire qu'on peut lui reprocher quelque chose haha mais c'est la beauté des ressentis, ils sont tous différents et heureusement sinon nous n'aurions pas grand chose à dire.

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  3. Un coup de coeur pour moi aussi. Ta chronique est comme toujours : parfaite. Tu as parfaitement saisi la complexité de Magda, même si, selon moi, elle n'excuse rien.

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  4. Effectivement, comme le rappelle Eva, il y a déjà eu beaucoup d'avis très enthousiastes. Mais j'ai récemment aussi entendu des avis très mitigés. Du coup, j'hésite...

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    1. Delphine, tu sais ce qu'il y a encore de mieux ? Se faire son propre avis :) Je pense qu'il peut te plaire, que tu seras sensible à l'ensemble du roman mais je peux me tromper.

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