Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson : voyage initiatique dans une Islande rude et poétique

Entre ciel et terre
Paru en poche chez Folio en mars 2011
278 pages traduit par Eric Boury

Dans ces  périodes où la concentration fait défaut, où aucun livre, aucun roman ne vous accroche, transporte, embarque, mieux vaut se raccrocher à une valeur sûre. J'aurais pu ouvrir un Charles Juliet, mais j'avais besoin d'évasion. Alors je suis partie sur ces terres Islandaises. Explorer un peu plus l'oeuvre de Jón Kalman Stefánsson, suivre ces marins et ce gamin en mer et sur terre, retrouver la plume qui m'avait tant enchantée avec Ásta.


“ Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. Pourtant, à eux seuls, ils ne suffisent pas et nous nous égarons sur les landes désolées de la vie si nous n'avons rien d'autre que le bois d'un crayon auquel nous accrocher. ”

Parfois les mots ont le pouvoir d'émerveiller et de transformer des vies. Parfois, les mots ont le pouvoir de détruire des vies...
Comme la mer. Et le froid.
C'est ainsi que meurent les hommes là-bas, près des fjords. Eux qui ne savent même pas nager mais partent en mer. 
C'est ainsi que les hommes perdent leurs meilleurs amis. Leur seul ami parfois. C'est ainsi que le gamin a perdu le sien. Bárður. À cause des mots. À cause de la mer. À cause du froid qui s'est levé. Ce gamin qui avait déjà perdu père, mère et sœur. Voilà que Báður meurt en mer. Sous ses yeux. Ses yeux de gamin. Qui peinent à croire. Comme si les Dieux s'acharnaient. Báður qui avant de prendre la mer a oublié sa vareuse, trop enchanté par les vers qu'il venait de lire et qu'il a ancré dans sa mémoire. Les mots du Paradis perdu de Milton. Ces mots qui le nourrissaient et nourrissaient le gamin. Comme une passation. Une transmission. Un livre précieux emprunté à un vieux capitaine aveugle.
Le vent s'est levé et Báður a eu froid. Le gamin a bien tenté de le réchauffer mais que peut-on contre le vent glacial ? Les autres hommes tenaient la barque. Et le gamin impuissant a assisté à la mort de son meilleur ami.

De retour sur la terre ferme, il quitte ce village de pêcheur. Amer. Anéanti. Un long voyage l'attend. Périlleux, escarpé. Passer par les montagnes. Loin de la mer. Plus proche du ciel. Un voyage pour rendre à son propriétaire, Kolbeinn, l'objet du crime. Un voyage qui signera une fin pour le gamin qui ne compte pas poursuivre, lui qui a tout perdu. Une fin, ou peut-être bien un commencement...

“ Il est sain pour un être humain de se tenir, seul, au creux de la nuit, il s'unit alors au silence et ressent comme une connivence pourtant susceptible de se changer instantanément en une douloureuse solitude. ”

Voyage initiatique au cœur de paysages austères et de vies rudes. Là-bas, les gens que rencontrera le gamin n'auront pas eu une vie meilleure. Les âmes sont abîmées, les cœurs méfiants, froids en apparences et l'alcool apaise les douleurs. Un temps. L'amour y est sauvage, aride mais tenace. Réchauffant ainsi parfois les corps et les cœurs comme l'été vient faire fondre la neige.
Ce gamin qui va apprendre, emprunter des chemins inconnus auprès de ces petites gens croisés qui ont connus tant de malheurs mais tiennent encore debout.

Jón Kalman Stefánsson, une fois de plus, avec sa poésie et sa sensibilité, au plus près de l'âme humaine, m'a envoûtée. Chaque jour, un chapitre, délicatement, comme pour ne pas terminer trop vite ce voyage, aussi rude soit-il. Dans cet Entre ciel et terre s'y dégage la magie, la force, la puissance des éléments qui se déchaînent comme la peau tiraille, comme les cœurs se déchirent de n'avoir su dire, de n'avoir su aimer, de n'avoir su voir ou sauver.

Jón Kalman Stefánsson est décidément un véritable sculpteur de la vie, de la mort et de leur sens. Des âmes et des émotions. Des paysages et de ses variations...

Commentaires

  1. Je viens de relire mon billet (2017!) sur ce livre et je me suis replongée avec plaisir dans les extraits que j'avais choisis pour le livre.
    Ah ce livre... et le deuxième tome est encore plus merveilleux. J'ai son troisième qui m'attend aussi.

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