À la ligne feuillets d'usine de Joseph Ponthus : au cœur de l'usine

A la ligne
Paru aux éditions La table ronde - 266 pages

Je l'attendais. J'attendais le moment propice pour l'ouvrir. Ce moment où parfois, t'as envie d'un truc qui claque. Qui t'en fout une. Je ne suis pas maso qu'on se rassure mais une bonne claque ça fait pas de mal. Ça fait même du bien dans le cas de Joseph Ponthus. C'est aussi beau que fort dans le cas de Joseph Ponthus.


L'usine dans le Nord on connaît bien. J'ai vécu et grandi dans une ville qui a vu fumer les cheminées aujourd'hui vestiges d'un patrimoine industriel. J'ai eu un grand-père qui a longtemps travaillé à l'usine. Souvent, les ouvriers, sont des taiseux. Mon grand-père ne dérogeait pas à cette pratique du silence.  « Car à l'usine c'est comme chez Brel "Monsieur, on ne dit pas / On ne dit pas" ». 
J'ai visité ces quartiers où d'un côté il y avait les ouvriers, d'un autre les chefs. Faut pas déconner, on ne va pas tout mélanger non plus.
Bien sûr l'époque n'est plus la même. On est au XXIe siècle. Mais... Y a-t-il grand changement ? À la ligne, je ne dirais que non. Et Joseph Ponthus libère ça : la parole. Sans pathos. Sans misérabilisme.

“ On ne quitte pas un sanctuaire indemne
On ne quitte jamais vraiment la taule
On ne quitte pas une île sans un soupir
On ne quitte pas l'usine sans regarder le ciel ”

Ouvrier. Enfin non, opérateur de production, dit-on maintenant. Comme ça, moins péjoratif. Ça vend plus de rêve. Mon cul. 
Hypokhâgne. L'élite présumé. Les lettres. Les mots. Ceux des autres pour soutenir, retenir, poursuivre. L'usine, son Odyssée. 
Prendre sur lui. S'habituer aux odeurs. Aux bruits des machines. Aux douleurs. Aux postes décalés. 
Morfler. En silence. Il faut que la production continue. 
Goûter quelques crevettes. Quelques pinces de crabes. Quelques langoustes. En apporter chez soi. Pour le cuisiner avec un petit riz basmati. Se payer, comme il peut. Trimer. 
À la ligne. 
Sur les machines. L'intérim. Payer à la p'tite semaine. Son quotidien. 
Pousser les carcasse à s'en déglinguer les os. Cervicales, lombaires, colonne. Tenir. Pour Elle, son amour. Tenir quand il faut promener Pok Pok sur la plage. Penser à sa mère. La rassurer. Tenir. Toujours. Pour eux. Leur famille. Ne plus ressentir les angoisses et les sueurs froides. L'usine comme psychanalyse.
Souffrir et être heureux en même temps. La contradiction d'un état. D'un corps. D'une âme. Une guerre à l'intérieur.
Chanter fort, à l'intérieur de lui. Chanter parce que la musique sauve. Surtout Trenet. Faire entrer les mots, quand les machines laissent un peu de répit, à défaut de faire entrer la poésie. Car quelle poésie trouvait dans la chaîne des gestes ? Aucune. Sur le moment. Et pourtant, Joseph Ponthus, l'a fait entrer dans ses lignes. À la ligne.

“ Alors
Dans ce monde de la nuit
Il n'y a pas de matin de soir ni même de nuit
Il y a les néons qui éclairent des ateliers où des tenues maculées de sang travaillent
Des gens se sont douchés avant
D'autres non
Il y a surtout
Tous ces matins du monde
Où chacun dans sa nuit
Rêve
À un monde sans usine
À un matin sans nuit ”

Hantée par son histoire, hantée par son regard. Voilà l'état dans lequel je ressors de ce livre, presque inqualifiable tant tout sonne juste. Un livre dans lequel nous devons trouver notre place, notre souffle dans ces lignes sans ponctuation. Un livre fin, non dénué d'humour, de jeux de mots. Un livre qui parfois m'a donné des hauts le cœur quand il fut question de l'abattoir. Qui m'a donné envie de stopper toute bonne grillade, petite nature que je suis. Un livre dans lequel on peut trouver de jolis tout dans un "pas grand chose". Comme sait le faire aussi Thomas Vinau, à sa façon. Un livre qui méritait bien le Grand Prix RTL/Lire, le prix Amila-Meckert et le prix Régine Deforges. 

Commentaires

  1. Je ne vois pas comment on pourrait ne pas être touché,secoué, par ce livre. Mais je ne suis vraiment pas étonnée de lire ces mots sous ta plume ! Au-delà du sujet, c'est une forme à laquelle, me semble-t-il, tu ne pouvais pas être insensible.

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    1. Tu me connais plutôt bien ou alors je suis prévisible ahah en tout cas oui, impossible d'être insensible à ce livre.

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