Il fallait que je vous le dise d'Aude Mermilliod : que savent-ils de nos ventres ?

Il fallait que je vous le dise
Paru chez Casterman en avril 2019
168 pages

Je me souviens qu'il a fait nuit noire, en plein un jour. Des gouttes de retard et puis plus de gouttes du tout. Je me souviens que ça a été un déchirement d'imaginer que c'était possible. Je me souviens de la honte qui m'a envahie. Une honte qui ne faisait que commencer. Appréhender la réaction. Celle de la mère, identique à celle d'Aude Mermilliod : « tu es trop jeune ma chérie ». Elle a raison, bien sûr qu'elle a raison. Seulement, voilà, entre le moment où on l'apprend et le moment où on avorte, se passe des jours. Les sentiments s'emmêlent. La main se pose sur le ventre. C'est ainsi. Il est là, même s'il n'est « rien ». Il est là et on le sait. 

Un jour, j'ai avorté. 

Non, je ne regrette pas cette décision. Je regrette les conditions. Je regrette le médecin sur lequel je suis tombée. Qui s'est comporté comme une ordure. Je regrette ma vulnérabilité. Semblable à celle de tant d'autres...

Alors à la lecture de Il fallait que je vous le dise, tout remonte. À quelques détails près, c'est mon histoire qu'Aude Mermilliod raconte. Et celle probablement de centaine d'autres femmes. C'est le corps de la femme qu'elle raconte. La confusion des sentiments, l'absence d'accompagnement, et surtout l'absence de compréhension. Mais aussi l'aide reçue par quelques proches.  
Aude Mermilliod s'empare de la douleur. Celle qu'on garde pour soi. La douleur... la sienne et celle de Martin Winckler qui se livre en tant que médecin.
Elle dit aussi le manque d'information, de sensibilisation chez les autres et dans le corps médical, à l'époque en tout cas (j'ose espérer que cela à changer...). Elle met en lumière l'importance de dire, la violence de l'annonce, de l'événement, des mots qu'on porte sur soi et que les autres nous portent. 
En filigrane, le jugement, le regard de l'autre qui cherche à se rassurer en s'intéressant à notre cas. Car c'est parfois ce que nous sommes : un cas. Pas une personne. Pas une femme avec un ventre qui porte, ne porte plus, ne porte pas, ne portera pas. Un cas. Une énième femme qui n'a pas pris ses précautions, qui ne réfléchit pas, qui regrettera. Je me souviens des mots du médecin « oh vous savez, certaines femmes viennent ici pour la dixième fois ! », était-ce censé me rassurer ? Raté. Était-ce censé souligner que les femmes sont imprudentes ? Longtemps, je me suis dit, moi qui avais pourtant avorté, que je ne comprenais pas cette absence de contraception, comment une femme pouvait-elle s'infliger cela plusieurs fois ? Longtemps, les mots du médecin m'ont hantée. M'ont mis la peur. Au ventre. Mais je n'avais pas compris à l'époque et lui, il n'avait rien compris du tout. Il n'avait pas cherché à comprendre. Il n'avait fait que juger, sciemment ou non. Comme Martin Winckler qui raconte ses premières réactions avant que la douce Yvonne lui explique. Avec patience et bienveillance. Comme Anne Sylvestre le chante « que savent-ils de mon ventre ? ». Rien. Ni eux, ni moi qui pourtant l'ai vécu. Nous n'avons pas à juger. Personne. Jamais. 

Même si je trouve qu'il n'y a eu que trop peu de choses dites sur l'après, tout aussi déchirant, violent :  être vide, se sentir coupable, avoir mal à la vue d'un enfant ‒ mais probablement que cela relève d'une douleur qui ne se partage pas, d'un deuil, car c'en est un, à faire entre soi, et lui ‒ Aude Mermilliod met en mot et en image deux témoignages essentiels. Courageux, car il en faut pour parler de l'épreuve du ventre. Quelle qu'elle soit. 
Elle est parvenue à en faire un ouvrage à mettre entre les mains de tous, femme ou homme. À brandir en ces temps où la liberté de la femme est remise en cause. Où la liberté de disposer de son corps est en danger. Où la clandestinité et la mort potentielle planent. 

Sur ces quelques mots, il est peut-être temps pour moi aussi d'aller choisir un arbre à saluer chaque année...


Un grand merci à Virginie qui m'a mis cette BD entre les mains. Vous pouvez retrouver sa chronique ici 

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