Sujet inconnu de Loulou Robert : lacérer le cœur

Sujet inconnu
Paru aux éditions Julliard en août 2018
252 pages

J’attendais avant d’ouvrir ce livre. Je voulais être totalement disponible. J’avais lu les mots de Nicolas Houguet sur ce Sujet inconnu. J’avais lu entre les lignes, vu ce que j’avais envie d’y voir. Comprendre. Comprendre que ce roman aurait une résonance particulière. Je me suis attribuée des « entre les lignes » à la lecture de sa chronique. Alors j’attendais, histoire de commencer l’année au tapis. 


“ Je devrais commencer par me présenter.Ce qui vous intéresse est de savoir si cette histoire est vraie. Si la personne qui a écrit cette histoire a vécu cette histoire. Si son cerveau a vrillé comme celui du personnage. Pulsation cardiaque. Boum. Boum. Boum. Si ce cœur était réel. Si ce cœur était le mien. Cette question revient à chaque page. Chaque passage à la radio. Est-ce sa voix ? A la télé. Son visage ? Je pourrais parler à la troisième personne. Dire elle. Dire tu. 
Je dis je. Cette histoire existe. Réelle ou pas. Elle existe. La réalité on s'en fout. La réalité n'écrit pas d'histoires. Je. Tu. Il. Elle ne vit pas. Elle ne mange pas. Ne ressent pas. Ne baise pas. N'aime pas. Ne meurt pas. 
Je ne veux pas être réelle. 
Je ne veux plus savoir qui je suis. 
Je ne sais plus qui je suis. 
Je ne me présenterai pas. ”

Elle est née et a grandi là. Le point A. Ce village gris du Nord-Est de la France. Celui dont les maisons sont comme des cercueils. Celui où l'avenir équivaut à zéro. 
Elle ne va pas rester là. Elle rêve de grand, de liberté. Sa place n'est pas ici. À huit ans, elle le sait. Elle partira, c'est acté. Il suffit d'être patiente. Docile. Ce ne sont ni ses parents, ni l'hôpital psychiatrique qui l'en dissuaderont.
Alors elle attend, dans ce village sans vie. Au milieu de parents qui peut-être s'aiment. Ou pas. Ou plus. Ce père constamment enfermé dans son bureau. Cette mère qui lui a transmis ses démons et ses envies d'ailleurs. Elle attend avec Sam, son seul ami. Sa peluche. Qu'elle défend bec et ongles quand on tente de le tuer. Mort. Premier deuil. Mais les peluches peuvent revivre. Il suffit de partir. En attendant, il faut grandir, en étant ce... Sujet inconnu. 

Dix-huit ans. Il est temps. Quitter ce village pourri. Découvrir le grand. Les dix-huit mètres carrés. Paris. La fac. Avec Sam. Inadaptée en société. Faire semblant sauf avec Lucien son voisin l'ermite. 
À la fac, bien travailler sans jamais vraiment trouver sa voie. Vouloir vivre. Recherche l'adrénaline. La décharge. La passion. 
Une nuit, la trouver. Là-bas au fond de la boîte, appuyé contre un mur. Il est beau. Beau à en crever. Son regard noir qui ne la quitte pas. Son sujet inconnu. Aussi inconnu qu'elle. 
Cet inconnu qui entre dans sa vie au moment où le crabe apparaît dans celle de sa mère. Sa bouée. Son éveil. Son corps. Son goût. L'animalité. L'urgence de lui. L'urgence de vivre. 
Fous. Ils sont fous l'un de l'autre. Ils s'aiment. Mal. Ils sont semblables et si différents à la fois. Torturés. Tous deux à leur manière. La passion qui détruit. Qui fait mal. Celle pour laquelle il faut encaisser les coups ou les donner. Dans cette emprise, cette peur insidieuse, ressentir le déclic, celui des mots. L'urgence, encore, d'écrire, de trouver sa voie et comprendre alors qu'elle est née pour ça. Prendre sa liberté dans les mots puisqu'elle ne l'a plus ici, à Paris ni là-bas dans ces rues qu’elle a tant haï. Alors puiser dans la rage de l'autre, dans sa jalousie, sa violence, ses ténèbres... 
Boum boum les uppercuts / percutent son visage / mais jamais elle ne cesse / de danser, de danser comme le chante si bien Arthur H.

“ J’étais calme, docile et réfléchie ; je suis une bombe prêt à exploser. Je brûle, palpite. Vibre. Jamais trembler ; je tremble. Je claque. Je ne décide plus. Juste un corps, plus de séparation. La musique me pousse vers toi. Mes pieds, centimètre après centimètre. Tu ne bouges pas. Tu me regardes mais tu ne bouges pas. Tu restes calme. Tu sais que ce n’est plus qu’une question de minutes. Moi, je ne sais rien. J’ai désappris à savoir. Je suis seule avec toi. Une chose ; une évidence : je te veux. J’ai vingt ans et je rentre dans ma vie. Celle que j’observais, je l’habite. J’ai vingt ans et je veux. J’ai vingt ans et une passion. Je ne peux plus fermer les yeux. Plus respirer. Plus avaler. Je ne peux plus être comme avant. ”

Ce qui m'a frappée en ouvrant le roman de Loulou Robert c'est son écriture, sa langue, crue, ciselée. Ce rythme saccadé que je connais bien. Instantanément, ça m'a touchée-coulée et fait sourire. Je le connais ce rythme. C'est celui qui me parle. Qui me fait écrire parfois. Alors cette rencontre avec Loulou Robert démarrait plutôt très bien. 
Et puis au fil des pages, l'hypnose. Ça vous percute, vous colle une beigne. Loulou Robert gagne le combat. Droite, gauche. Au tapis. Koshi Waza. Au tapis. Livre fermé. Au tapis. On reste au sol. Pour un moment.

Évitez le thé à la rose en lisant Sujet Inconnu, prenez plutôt du rhum. Ça vous chauffera le sang et le cœur au rythme de l’écriture bouillonnante de Loulou Robert.
Ce roman est sombre mais ce roman est la vie. La vie, parfois, quand on est cabossé. Quand on a des fêlures qui saignent. Quand on a une rage, une révolte qui nous habite et des larmes qui ne sortent pas. C'est cet âge où on se cherche, où on veut tout mais on ne sait pas quoi. On veut vivre, on veut oublier. On veut la passion et la liberté. On veut souffrir parfois pour se dire qu'on est en vie. C’est y allé à l’instinct, n’écouter rien d’autre que lui. L'urgence de vivre cette vie inconnue, analyser ce sujet inconnu. Celui que l'on est. Épris de liberté à tout prix. A toute blinde. Savoir que l'on se brûle les ailes, qu'on se fracasse le cœur mais y aller quand même. Défier le danger. Les limites. Les tester.
C'est ça Sujet inconnu. Danser au bord du gouffre en quête d'un absolu illusoire. 

“ Je ne sais pas faire autre chose qu'écrire. Je n'ai pas de diplôme. Je ne lis pas les journaux. Je ne sais pas cuisiner. Je ne parle qu'une langue. Je fais semblant de connaître les paroles des chansons. Je n'ai pas beaucoup de vocabulaire. Je fuis les conversations compliquées. Quand j'aime quelque chose, je ne sais pas expliquer pourquoi. J'oublie les noms des réalisateurs. Je ne vais pas au théâtre. Certaines choses pourtant simples et accessibles me paraissent impossibles. Je n'ai pas de plan B. Je sais simplement ressentir. ”

Loulou Robert vibre de sa voix unique, loin des formules ampoulées. Elle se fout de ce que l’on peut penser. Elle se fout de ce qui est réel ou non. Elle est impertinente. Elle est libre. Et c’est ce que devrait être la littérature. 
Qu'importe si tout cela est vrai, écrire, raconter une histoire c'est se construire soi, et s'adresser à ce for intérieur. Celui des autres.

Commentaires

  1. Pas sûr qu'il soit pour moi celui-là... Contrairement à toi, je ne suis pas sûre d'être conquise par le style...

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    1. Pour le coup, je suis pas certaine qu'il t'emballerait. Ça fait une place de plus dans ta pile pour un autre :-D

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