Diên Biên Phù de Marc Alexandre Oho Bambe : « résistance n’est qu’espérance »

Diên Biên Phù
Paru aux éditions Sabine Wespieser - 166 pages


Mi-avril, je suis tombée amoureuse, foudroyée. Par un roman, une plume, un homme fictif, des Hommes. De l’humanité que certains savent porter en eux, transmettre, partager. De cet amour qui irradie.
Posez tout, arrêtez tout, prenez entre vos mains Diên Biên Phù. Bercez-vous de sa musique, sa lumière, son espoir, son souffle de liberté et de fraternité. 


“ Cette fille est ma faille, mon alcool, ma parabole.
Et son pays, mon gouffre néant : j'y suis mort et m'y suis enterré, avec mes dernières illusions sur l'humanité, sur moi-même et sur ma propre patrie, «terre des droits de l'homme». C'est ainsi, ainsi qu'elle aime, qu'elle aime qu'on la nomme.
Je suis mort ici, en Indochine.
Avant de renaître, puis mourir encore.
Dans le regard de Maï. ”

Vingt ans, vingt longues années sont passées avant qu’Alexandre ne retourne à Diên Biên Phù. La première fois c’était en 1954, fusil à la main. Il partait combattre en Indochine pour la France coloniale. Il partait avec des convictions. Il partait pour fuir aussi, un mariage arrangé. Alexandre n’avait pas prévu que le champ de bataille – où la mort déverse ses litres de sang, où les bombes font danser les corps déjà inertes, où les enfants de l’autre camp se battent avec hargne, enrôlés dans la propagande, où les désillusions vous accablent – serait aussi une terre fertile à l’amour, aux amours. D’une vie. L’amour fraternel en la personne de Diop, ce sénégalais venu lui aussi pour combattre aux côtés de la France et qui a sauvé la vie d'Alexandre sur le pont Paul Doumer. Ce frère de cœur, lien puissant, fondateur. Car Diop n’est pas un "nègre", Diop est un frère. Egal à lui. Passionné, par la poésie, conteur hors pair, empli de convictions pour son pays « l’honneur, Alexandre, l’honneur ! ». 
Et puis il y a Maï Lan et son visage lune. C’est pour elle qu’il est là, vingt ans après. Maï Lan et sa peau, l’aimer qu’importe les interdits. Maï Lan et son sourire. Maï Lan et ses larmes d’émotions. Maï Lan et son corps enchanteur. Des baisers qui font l’effet de bombes au cœur. Un bout de paradis en plein enfer. Elle est son évidence et même une fois revenu en France, elle sera toujours ce fantôme entre lui et sa femme Mireille. Elle sera toujours l’unique à ses yeux.

Diên Biên Phù lieu de la mort mais lieu de sa deuxième naissance. De ce pèlerinage nécessaire pour affronter le passé. Celui de la guerre. Celui de l’amitié. Celui de l’amour. L’amour en temps de guerre. L’orage qui gronde et celui qui étincelle. La nuit noire avant l’aube. Et durant ce chemin, Alexandre ne sera pas seul. Il pourra compter sur une mystérieuse jeune femme, « la fille du taxi ». Retrouvera-t-il Maï Lan ? Est-ce là le vrai fond de ce voyage ? 

“ Épurer son texte, sa vie.
Prendre le temps, non pas de choisir, mais se laisser choisir par les mots justes. C'est seulement lorsqu'on éprouve chaque phrase, dans son corps et son coeur, qu'on sait qu'on y est. Au mitan de nous-mêmes et de nulle part, là où naît, peut-être la littérature. Et au bout du petit matin, le monde. ”

J’étais à peine à la première page que j’apposais mon premier post-it. Ce que j’étais en train de lire, était une partition de musique, lancinante et entêtante. Mais lumineuse. Il m’a donné un sentiment curieux ce livre. M’a poussé dans une sorte d’état second. Où la douleur dansait avec la beauté. J’aime ces musiciens, ces poètes qui prennent la plume par le récit fictionnel, je trouve qu’il s’en dégage des sentiments abyssaux qu’ils sont capables d’amener à la surface avec une sensibilité rare, explosive. C’est le cas de Marc Alexandre Oho Bambe comme ce fut le cas pour Gaël Faye, Kate Tempest mais aussi Boris Vian, Cohen, Dylan (qui publie son premier roman cette année) et tant d’autres. 

Il y a l’essentiel dans ce premier roman, l’amour, le combat, l’espoir. L’amour des Hommes malgré le doute, l’amour d’une femme belle à en crever, l’amour de la littérature, de la culture. Le combat pour l’amour. Pour les mots. Le combat contre l’oppression des peuples. Pour les convictions. Pour la liberté. Contre l’oubli. Pour la paix. La « décolonisation » de l’esprit comme le dit lui-même l’auteur.

“ Frère,
J'ai mal à mon pays.
J'ai mal à nos espoirs qu'on assassine, l'indépendance est un soleil avorté.
J'ai mal à notre désir de liberté, mal à nos velléités d'autonomie.
J'ai mal à l'Occident aux dents longues, qui nous dicte sa loi.
J'ai mal à la soumission de certains des nôtres qui font le choix de rester sous tutelle.
J'ai mal au Sénégal, mal à l'Afrique.
J'ai mal à la France, mal à l'Europe.
J'ai mal au monde.
J'ai mal à notre révolution culturelle qui n'arrive pas, mal à notre histoire cousue d'ombre et de lumière, mal à ma révolte qui s'essouffle un peu plus chaque jour.
J'ai mal à notre ipséité.
J'ai mal, mon frère.”

Il y tant d’univers dans ces 220 pages. Entre récit, poèmes et correspondances, on perçoit dans cette sorte de roman hybride toute l’influence du slameur, par la rythmique. Il bat la mesure avec une plume délicate pour donner toute sa puissance aux mots. Et on se surprend inconsciemment à lire à haute voix, dans son jardin. Tant pis pour les voisins. Ou tant mieux. Car s’ils m’ont entendu, ils se sont pris un vent de poésie. Parce qu’à Diên Biên Phù, dans Diên Biên Phù, chaque phrase, chaque élan est une vibration. Du cœur. De l’âme. Du corps. Et vous donne envie de poursuivre votre Maï Lan, de croire en l’humanité, de tendre la main. 

Un grand, beau premier roman qui chante la nostalgie, la douleur et la couleur des hommes. Au début du roman Marc Alexandre Oho Bambe écrit « Il y a des êtres qu’on rencontre trop tard pour ne pas les aimer », c’est vrai, il y a des êtres, dans ce cas des auteurs, qu’on rencontre trop tard pour ne pas les aimer. Alors en attendant, je l’espère, le prochain roman, je pars plonger dans les autres univers de cet artiste. 

Pour aller plus loin

Découvrez mon interview de l'auteur en deux parties : 

Commentaires

  1. Présenté ainsi, comment ne pas aller y voir de plus près... ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est une pépite et je doute que tu y serais insensible. Au contraire, je pense qu'il te toucherait beaucoup.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés