Une longue impatience de Gaëlle Josse : l’attente d’une mère

Une longue impatience
Paru aux éditions Noir sur Blanc en janvier 2018
192 pages

Cela faisait trop longtemps qu’on me disait de lire Gaëlle Josse, lorsque j’ai vu que son nouveau roman Une longue impatience sortait je me suis dit que c’était l’occasion de combler mon ignorance. J’étais loin d’imaginer qu’en refermant ce court mais néanmoins fort roman les larmes dévaleraient mes joues.


“ Je m’invente des ancres pour rester amarrée à la vie, pour ne pas être emportée par le vent mauvais, je m’invente des poids pour tenir au sol et ne pas m’envoler, pour ne pas fondre, me dissoudre, me perdre. Toutes ces choses ténues, dérisoires, je m’y accroche pour repousser le prénom qui cogne à mes tempes, à mon cœur, à tout mon corps, pour tenir à distance ce halo d’ombre qu’il agite autour de moi. J’invente tout ça pour me protéger de la houle qui arrive en traître, de côté, qui donne de la gîte à ma pauvre embarcation. Et ma tête tourne, ivre de tant d’absence, de mon Louis volatilisé, disparu, perdu. ” 

C’est une silhouette qui se dessine, là, face à l’océan infini. Sur le bord d’une falaise, une femme, Anne, guette les bateaux, les signes, les vagues. Et l’odeur de l’iode nous parvient, le sel déposé par le vent pourrait presque se poser sur notre peau et l’assécher, comme l’absence assèche le cœur d’Anne. Elle attend chaque jour, qu’importe le vent, qu’importe la pluie et la toux. Elle attend que son Louis revienne. Car un jour, dans un geste de trop d’un beau-père qui pensait pouvoir l’aimer assez lorsqu’il a épousé Anne, il a quitté la maison. Il avait 16 ans. Il a pris la mer sur un coup de tête. Comme une exploration intime et infinie. Partir en mer comme son père l’avait fait toute sa vie jusqu’à ce que la seconde guerre mondiale éclate ses bombes et ses mitraillettes sur le bateau de pêche.
“ Etienne m’a offert un rouge à lèvres, il y a peu, une attention comme il en a parfois. […] Personne ne sait que lorsque je me retrouve seule, il m’arrive, face au miroir, de tracer de longs traits sur mon front, sur mes joues. Des peintures de guerre, de peine. Je me regarde fixement et me trouve enfin vraie, telle que je suis, folle, sauvage, désespérée. ”  
Dans un monologue intérieur, Anne à travers la plume brillante de Gaëlle Josse se confie sur sa vie, sur cette grande demeure dans laquelle elle a posé ses valises après avoir épousé Etienne et dans laquelle elle ne se sent pas tout à fait chez elle. Si éloignée de son milieu d’origine. Elle décrit cet amour parfois douloureux, ce soutien qu’elle a trouvé en lui mais aussi cette promesse non tenue d’aimer Louis comme son propre fils. Et puis d’autres enfants sont arrivés, et tout à basculer. Oui c’est un long soliloque sur l’attente et l’absence de sa chair. Hiver après hiver, année après année, rides après rides elle tient debout comme elle peut, pour éviter les regards et les qu’en dira-t-on. Elle attend et imagine son retour. Elle écrit à « Monsieur Louis Le Floch, en mer » à quel point son retour sera beau et grand. Elle se le promet, elle lui promet, ce sera une grande fête. Où les mets seront servis jusqu’à n’en plus pouvoir. Un festin digne d’un prince. Et alors, en lisant chacune de ses lettres, peu à peu, se dessine sous mes yeux une fresque divine. Celle de Léonard de Vinci, La Cène, avec en son centre le bien-aimé. A la différence qu’ici ce ne serait pas le dernier repas mais le premier après le retour (et si toutefois l'on s'en tient à ne pas analyser le message de la fresque) ou encore la peinture de Philippe de Champaigne, Le repas chez Simon

Un tableau c’est ainsi que j’ai envie de résumer le roman de Gaëlle Josse, parce qu’il m’a procuré les mêmes émotions que lorsque je regarde une peinture. Les détails, la finesse s’apparentent à la précision d’un pinceau qui ne laisse rien au hasard. Et la beauté relève aussi de cette écriture épurée, justement dosée, qui révèle la complexité des relations humaines, la force des sentiments, comme un peintre révèle celle des couleurs. Lors d’une rencontre en librairie, Gaëlle Josse disait ne pas choisir d’écrire de courts romans, elle expliquait que cela s’imposait un peu à elle alors qu’elle aimerait parfois écrire 300 pages. J’ai tenté de lui dire à la fin, que même si ce n’était pas une volonté, ce style épuré suffisait et même renforçait la beauté de son roman car il n’y a parfois pas besoin de 500 pages pour serrer un cœur, pour faire couler des larmes. Une écriture pure, poétique et viscérale à la fois suffit.  
Et la dernière partie qui s’intitule « Ce qui vient et ce qui part » qui aurait pu s’appeler également « Ceux qui viennent et ceux qui partent » fut pour moi le coup de grâce, un bouleversement sans commune mesure. Foudroyant de beauté et de tristesse à la fois. 

“ Il est mon fils, mon enfant, ma vie et je n’ai pu imaginer ce qui se dégradait, s’amenuisait sous mes yeux. Peu à peu, tout s’est corrodé, effrité. Ce que faisait Louis, ce qu’il disait, ce n’était jamais assez bien, ce n’était jamais ce qu’il fallait, au moment où il le fallait. […] Les mots blessent bien davantage que le ceinturon. ”

Une longue impatience est ce roman de l’attente, de la douleur. Il est ce cri d’amour d’une mère à un fils. Il est ce questionnement sur la place à trouver lorsqu’on ne vient pas du même milieu, sur la difficulté de reconstruire une famille et la délicatesse de ce roman tient aussi dans le fait qu’aucun jugement n’est porté. Il est juste une vie, celle d’une mère, qui se perd dans l’attente d’un fils.

Une lecture accompagnée de ...

Amateurs de rock, vous risquez bien d'être déçus, ici que du classique, de l'épuré.

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Commentaires

  1. Tout le monde n'en dit que du bien - de quoi me faire craquer en quatrième vitesse - mais j'ai juste un peu peur qu'il soit trop triste pour moi pour la période !

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    1. Alors garde-le pour le découvrir une fois le blues de l'hiver passé :-)

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  2. très envie de découvrir Gaëlle Josse avec ce roman! ton billet a tous les arguments pour me faire craquer ;)

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    1. Merci Céline, j'espère qu'il saura te toucher comme il m'a touchée. Je guette ton avis :-)

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  3. C'est aussi, je trouve, une histoire d'amour entre un homme qui n'aime qu'une seule femme mais ne sait aimer son fils.
    PS: j'adore Max Richter.

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    1. Oui c'est vrai. Je ne l'ai pas mis très en avant cet aspect mais tu as raison.

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  4. Je suis dedans ! Quelle beauté, cette écriture ...

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    1. Ah ce n'est pas moi qui vais dire le contraire, je l'ai tant aimé ! :-) Bonne fin de lecture.

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