Mon autopsie de Jean-Louis Fournier : quand le corps livre les mémoires

Mon autopsie
Paru aux éditions Stock
198 pages

Découvert avec Où on va papa ? Jean-Louis Fournier m’avait totalement conquise et émue avec son humour pince-sans-rire et sa franchise débordante. Avec ce nouveau roman, il conserve cette formule gagnante pour le plus grand plaisir de nos zygomatiques et de notre cœur tendre. 


Mon autopsie … quel drôle de titre mais lorsqu’on connaît le personnage on sait qu’il n’y a que lui pour intitulé ce livre ainsi. Et en même temps c’est bien le point central de son roman. A 78 ans, l’auteur imagine sa mort et nous embarque avec son cadavre dans le sous-sol d’un hôpital pour y être autopsié car il vaut bien de donner son corps à la science. L’envie de vivre encore un peu sous le scalpel d’un étudiant ça fait franchement rêver. En l’occurrence il s’agira plutôt d’une étudiante. Parce que tant qu’à imaginer sa mort et offrir son corps, autant y mettre un peu de plaisir ! Une jeune femme donc qu'il décide d’appeler Egoïne, oui oui vous avez bien lu, elle porte le même nom qu’une scie. Pas très Sexy ? Et pourtant, il semblerait que la demoiselle ne manque pas de charme. 

Mais on s’aperçoit très vite que l’autopsie n’est qu’un prétexte, ou plutôt une finalité pour amener Fournier à se livrer, à coucher sur le papier ses mémoires en quelques sortes. Avec la malice et l’égo surdimensionné qui le caractérisent mais qui lui vont si bien. 
Allongé là, nu, le corps glacial, les tripes à l’air, il donne son avis parfois tranché sur l’époque qu’il vient de quitter. En jeune rebelle qu’il a été et qui ne supportait la soumission, il ne ménage pas les nouvelles générations virtuelles, asservies et déconnectées de ce monde qui bat dehors, partout, autour. Là où lui n’est plus.
“ J'ai été vorace de plaisirs. J'ai eu envie de tout. J'ai aimé, sans modération, tout.
Et par-dessus tout, les fruits défendus.
Notre société prône la modération, elle interdit déjà le sel, bientôt la vie n'aura plus de goût.
Je suis parti au bon moment. ”
Alors il se raccroche à la belle qui dissèque la bête. Lui invente une vie, se surprend à un soupçon de jalousie – il aimerait l’avoir pour lui seul – tente de la séduire malgré ses deux prothèses de hanches et son absence de vie. Eternel coureur de jupons, c’est l’égo qui parle au-delà de la mort. D’ailleurs le prénom de la demoiselle a-t-il uniquement été choisi pour son rapport à l’outil ? La question mérite d’être posée. 

Chaque membre découpé, recensé par les mains délicates d’Egoïne, est un mobile parfait pour évoquer les souvenirs tendres mais parfois âpres de sa vie et même ses vies. Comme-ci finalement chaque organe donnait lieu à un pan de ce qui constitue son histoire. Le cœur, lourd, bien rempli, renferme son rapport tumultueux à Dieu mais aussi les passions. Celles de la musique et de l’art et surtout celles brûlantes de l’amour, de ces femmes – souvent plus jeunes – qui l’ont accompagnées sur le chemin du plaisir. Et celle de sa femme, morte subitement, qui a dû l’aimer extrêmement fort pour tolérer ses aventures. 
“ J'ai passé ma vie à être amoureux. Encore récemment, il servait. Toujours prêt à de nouvelles aventures.
J'étais imbattable dans la conjugaison du verbe aimer. Tous les temps, présent, passé, futur, Tous les modes. Sauf l'impératif, hélas.
Quand elle m'a ouvert le cœur, quelque chose s'est échappé et est tombé par terre...
Elle s'est baissé pour ramasser.
C'était une feuille d'artichaut. ”
Puis vient le moment d’ouvrir la boîte crânienne, celle qui contient l’outil de travail de l’homme et ses secrets intimes. Ce comique qui par des traits d’esprits éclatants fait travailler nos pommettes va tout à coup faire grossir notre cœur en évoquant les souvenirs de son enfance et de ses enfants. Il nous fait passer du rire à l'attendrissement (et inversement) en une page tournée. Et c’est exactement cela que j’aime chez cet auteur, cette capacité à surprendre encore et encore son lecteur, à jouer avec lui indéfiniment. 
Mais les souvenirs donnent lieu à un bilan, dans cet endroit au centre de tout. Le ventre. Derrière cet égocentrisme ancré en lui, avec lequel il est en paix et dont il se moque si volontiers qu’il fait de lui finalement un personnage attachant, il abrite sa peur de la solitude. Cette peur de ne pas être aimer, admirer, ou tout simplement regarder. Et en prenant comme dernier témoin cette jeune femme belle à croquer, oui il veut certainement assouvir son incorrigible besoin de plaire mais peut-être aussi veut-il, encore un peu, pouvoir jouir d’une présence. Comme une dernière volonté. Une dernière étincelle qui brille dans les yeux. Avant le noir complet. 
“ Le pire, quand mon correspondant était déjà en ligne, était de savoir qu'on le prévenait de mon appel par un signal sonore et que, malgré ça, il ne quittait pas son correspondant. ”

Avec son autopsie Fournier ne triche pas. Il joue avec sa mort, parle d’elle mais célèbre avant tout sa vie. Et le partager avec nous, c’était ce qu’il pouvait nous offrir de mieux.

Je partage ma région

En quoi Fournier a un lien avec les Hauts-de-France ? Eh bien tout simplement parce qu'il est né à Calais et a grandi à Arras. Il a également écrit pour la télévision Lilloise - son premier film s'intitulait Le cri du cœur

Dans le cadre d'une chronique mensuelle sur la TV Régionale Wéo, vous pouvez retrouver mon intervention ci-dessous



Commentaires

  1. J'avais aussi découvert l'auteur avec "Où on va papa ?" que j'avais trouvé terriblement drôle et touchant à la fois. Il m'avait un peu moins conquise avec "Le CV de Dieu" qui était tout aussi drôle, mais pas inoubliable.
    Je serais curieuse de voir ce que donne son dernier roman !

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