Marx et la poupée de Maryam Madjidi : exil et danse des langues

Maryam Madjidi
Paru aux éditions Le Nouvel Attila
208 pages


Premier roman lu dans le cadre des 68 premières fois (une aventure dont je vous parlerai plus en détails d'ici quelques temps), mais aussi première claque, premier coup de foudre. 


« Je me promène sur une plaine vaste et silencieuse qui ressemble au cimetière des maudits et je déterre des souvenirs, des anecdotes, des histoires douloureuses ou poignantes. Ça pue parfois. L’odeur de la mort et du passé est tenace. Je me retrouve avec tous ces morts qui me fixent du regard et qui m’implorent de les raconter […]. Invisibles, ils suivent mes pas. Parfois, je me retourne brusquement dans la rue et le vois des bouches effacés. » 


Dans ce récit poignant Maryam Madjidi nous dresse le portrait de son pays d’origine : l’Iran. L’Iran en pleine révolution.

Il était une fois …
Une petite fille encore dans le ventre de sa mère lorsque les cris, les pleurs, les tirs, les viols aussi démarrent. Sa mère, engagée, communiste (comme son mari), vit de plein fouet les premières heures de cette révolution comme ce bébé encore au chaud. 
Il était une fois … Maryam, une petite fille de cinq ans à qui ses parents demandent de donner ses jouets à ceux qui restent. 
Il était une fois … Maryam, une petite fille de cinq ans qui part pour la France. Débute alors l’exil, ce mot qui inlassablement reviendra la hanter, la troubler telle une ritournelle.

Maryam MadjidiPeu à peu la petite fille commence à être torturée par ses souvenirs qui ne lui rappelle que la séparation avec son oncle, sa grand-mère, ses jouets, son pays. Cette séparation lui tord le ventre. Elle finit par ne plus vouloir apprendre sa langue maternelle. Ses parents ne le comprennent pas, ne l’acceptent pas mais pour elle le persan est synonyme d'« une nappe couverte de jouets abandonnés, de barreaux de prison, de livres interdits, de cheveux de femmes coupables, de foulards traîtres, l’incompréhension partout. »
Et puis la petite fille grandit et décide de retourner en Iran, sur les terres de son enfance, retrouver ceux qu’elle aime et qu’elle a laissé, découvrir celui qu’elle aimera le temps d’un aller, avant le retour. Retourner sur ses terres pour respirer le parfum des siens.

Maryam Madjidi

Ce récit est celui de trois naissances : la mise au monde, l’exil puis la naissance de l’apaisement.
Si j’ai d’abord été désarçonnée par une utilisation mélangée de la première personne puis de la troisième, j’ai fini par occulter cela pour me laisser porter par l’errance des mots, des maux que Maryam Madjidi nous confie avec tendresse, délicatesse et douleur aussi. Elle met à nue la fragilité d’une petite fille, d’une jeune femme dans sa quête identitaire, dans sa quête de paix intérieure également. 
Mi-fable, mi-journal ce livre est un double hommage extrêmement touchant. Un hommage d’abord à une mère dont elle dit probablement embellir le portrait (je soupçonne un peu de pudeur dans ces mots), à un père, à une grand-mère pour qui sa petite fille est la prunelle de ses yeux. Grand-mère restait au pays mais qui ponctuera de visite l’esprit de Maryam pour l’aider à avancer, à trouver le bon chemin dans ces endroits où elle n’a la sensation de n’être personne, de ne jamais être chez elle. Puis un hommage aux langues, à la danse du persan et du français à travers notamment le poète Omar Khayyâm.

Maryam Madjidi

Bien sûr le conflit géopolitique, religieux, révolutionnaire est omniprésent et nous amène à réfléchir : années 80, 90, années 2000 … rien n’a véritablement changé et c’est bien là toute la tragédie de ce monde.  
Mais ne vous méprenez pas, ce roman, car il est ainsi nommé, n’a rien de plombant bien au contraire, Maryam Madjidi a su savamment doser les souvenirs douloureux aux moments d’humour et de gaieté pour nous offrir sous une écriture vive et poétique un tableau d’émotions. 
Nul doute Marx et la poupée touche son lecteur en plein cœur. 




Commentaires

  1. Oui, une écriture très poétique, qui passe allègrement - comme tu le soulignes - du "je" au "tu" et du présent au passé. Une écriture libre, comme l'héroïne de ce magnifique récit !

    RépondreSupprimer
  2. Mon dieu, ça a l'air génial... Merci de me faire faire de si belles découvertes - que bien souvent je ne vois pas ailleurs !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il l'est ! Si tu peux, procure le toi, il vaut la peine d'être lu.
      Merci en tout cas je suis ravie de faire découvrir ces romans qui parfois ne trouvent pas la lumière qu'ils mériteraient.

      Supprimer
  3. Je l'ai reçu en SP la semaine dernière .. Hate de le lire du coup !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés