Hors de moi de Claire Marin : ausculter l'épreuve et la douleur

Hors de moi
Paru en février 2008 aux éditions Allia
128 pages

Je me promenais dans les allées de la librairie quand mes yeux se sont arrêtés sur une petite boîte en bois contenant des livres de la maison d'édition Allia. Curiosité piquée, je fouille et attrape ce livre, Hors de moi. Le titre, la couverture m'interpellent. J'ouvre et lis la première page. J'en suis déjà scotchée.


Voilà comment mes yeux et mon cœur ont rencontré Claire Marin. Par hasard. C'est souvent ainsi que les rencontres sont les plus belles. Par hasard. Du hasard il n'en est pas question dans ce court récit intime et impudique. Un récit qui nous entraîne non pas hors d'elle mais en elle. En Claire. Au cœur de son quotidien. De ses pensées. De sa rage. Au cœur de sa maladie. Auto-immune. Découverte après que des médecins aient maintes et maintes fois dit qu'il s'agissait d'un coup de fatigue. Que ses douleurs ne correspondaient à rien. Rien qu'il ne soit inscrit dans leur livre. Vraiment ? 

“ Je constate l'avancée de la démolition. De ma démolition. Je fais le compte des territoire perdus ou en voie de l'être. [...]
Une autre vie apparaît. Comme par érosion. Elle efface les repères du passé. [...]
Les chemins d'avant sont abandonnés. On brûle sa vie antérieure. Il faut s'en construire une autre. Alors même qu'en nous, tout s'effiloche, se détériore. La démolition secrète est à l'oeuvre. Celle du corps qui capture tout l'être, existence bouleversée, dévastée par cette désorganisation souterraine. ”

Maladie chronique. Qui ronge. Lacère. Capture tout l'être. Paralyse. Maladie qui devient compagne. Imposée. Claire qui a de par son métier de philosophe l'habitude de manier la pensée et les mots s'en retrouvent presque à court. Comment dire ? Quelle pensée philosophique pourrait bien étudier la souffrance, la sienne ? Alors Claire écrit, tant bien que mal. Décrit. Les symptômes. Les douleurs. Leurs emprises. La solitude qu'elle s'impose parfois quand les autres ne comprennent pas, ne supportent pas. Et elle, comment fait-elle pour supporter ?
Elle explose cette colère. L'expulse. Hors d'elle. Elle expose ce corps qui devient médical. Ni désir, ni caresse. Mais chair. Qu'on pique, qu'on ouvre, recoud, ausculte, bouscule. Corps numéroté. Privé de son identité. Corps déambulant dans les couloirs de la Pitié Salpêtrière. « Quand tant de regards, habitués à la maladie et à sa puissance dévastatrice, ont traversé ce corps avec indifférence, lassitude ou résignation, il ne reste plus grand-chose en lui de pudique, de fier ou de sensuel. Il n'est plus depuis longtemps le lieu d'un plaisir narcissique. Il tombe dans le domaine public. »

Claire Marin énonce les bras baissés. Les résignations. L'abandon. Quand la fatigue la dépossède de tout. Et puis elle dit le sursaut. Le combat qui ne s'arrête pas. Jamais. Car il y a des jours heureux. Miraculeux. Où l'énergie s'invite. Celle qu'elle avait oubliée. Elle la garde. S'appuie dessus. La savoure. Elle puise sa force dans ces quelques moments de douceurs. Ceux qui offrent un répit, aussi court soit-il. Elle puise sa force dans ceux qui ont écrit, réfléchi sur l'immobilité. La maladie. Michaux, Woolf, Fitzgerald... Et dans ces moments, elle se met elle aussi à réfléchir sur cette souffrance. Sur ces risques qu'elle veut prendre. Volontairement. Pour ne pas laisser la maladie ou les médecins tout lui dicter, avoir raison d'elle. Garder un peu de liberté dans ses empêchements.

“ Essouffler les phrases, mutiler les mots, les projeter contre les murs, les détruire, les faire exploser, maltraiter la parole, se saouler de la brutalité de l'agression et de la vulgarité comme on se saoulé de musique hurlante. Chaque geste, chaque attitude reproduit à sa manière le même besoin de répondre à la violence intérieure que rien n'apaise. Agresser la page, ou l'autre, qui n'a rien fait, qui ne le mérite pas, qui nous a effleuré sans imaginer la douleur vive que ce geste banal déclenche, cela n'apaise pas, ça me défoule. Un peu. Comment leur dire ? Les bleus sous les vêtements, la peau qui se déchire au moindre accroc, les cheveux qui restent dans le pull qu'on ôte, comme une perruque qui nous échappe.
Je m'effrite, me d'élite. L'ordre, la structure calme et apaisée des mots ne valent plus rien contre les assaut, les rafales du corps, les tortures secrètes. ”

Hors de moi est ce récit de la colère, de la vérité, de la mise à nu. Poignant.
J'ai corné nombre et nombre de pages à la lecture tant j'ai été bouleversée par ce texte. Pourtant, jamais je n'ai eu cette sensation de voyeurisme. Jamais je n'ai ressenti un quelconque malaise à pénétrer dans son intime. Rien n'y est larmoyant, Claire Marin parvient même, aussi étrange que cela puisse paraître, à embellir la douleur grâce à cette langue, cette écriture mélodieuse, intense, poétique. Grâce à ce souffle et sa manière, sans qu'on s'en aperçoive immédiatement, à alimenter une réflexion. Hors d'elle. Universelle.

Commentaires

  1. Effectivement, au vu de ce que tu en dis et des extraits que tu cites, ce livre a l'air très fort. Merci pour la découverte, Amandine !

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    1. Avec plaisir Delphine. Un livre sans pathos et surtout important qu'on soit ou non confronté à la maladie, il fait prendr conscience de beaucoup de chose notamment sur le corps médical

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