Sous le soleil de mes cheveux blonds d'Agathe Ruga : juste quelques mots d'amour

Sous le soleil de mes cheveux blonds
Paru aux éditions Stock - Collection Arpège
288 pages

“ Les gens parfois disparaissent de nos vies sans mourir, sans guerre et sans cris. Nous avons grandi avec eux, certains nous ont tout appris, ils existent au plus profond de nous sans que jamais nous ne puissions le leur redire. Nous fermons la porte de nos souvenirs, nous serrons les mâchoires lorsqu'une musique nous ramènent à eux, nous bâillonnons nos réflexes et nous rendons à l'évidence : nous ne les reverrons plus. ”

Lettre à Elles.

Ma chère Agathe,

Je me souviens d'un véhicule partagé en janvier 2018. De confidences le temps d'un trajet. D'un manuscrit dans un tiroir, une histoire qui je l'avais perçu au son de ta voix se révélait encore profondément présente en toi. Les mots laissent échapper ce que l'on veut bien dire mais la voix, l'intonation, l'inflexion, elles laissent passer tout un tas d'autres choses. L'émotion en premier lieu. Mais l'envie, le besoin, la nécessité aussi. Ce truc vital. Viscéral. Dont tu parles d'ailleurs si bien dans ton livre. Non calculée. Qui s'impose.

Un peu plus d'un an après, le voilà bien et bel sorti du tiroir. Posé sur les tables des libraires. Mis en scène ici et là. Tenu dans les mains. 
Je n'ai pas besoin de te voir, ni de te parler pour connaître ton émotion. Entendre les battements de cœur.
Et le voilà entre mes mains. Ton bébé. Ta fierté. Oui tu peux l'être. Tu sais pourtant probablement comme j'appréhendais de te lire. Non pas car je doutais de la qualité de ta plume, je n'ai jamais eu aucun doute là-dessus mais parce que ce n'est pas forcément le genre de livre vers lequel je vais. Je pense que tu le savais. 
Et puis je me souviens lors d'autres confidences de tes mots. Tu m'as dit qu'il me parlerait. Inévitablement. Que j'y retrouverai de moi, et de cet autre. De ce déchirement. Ces questions, ces doutes, cette colère étouffée. Sourde.
Tu as senti que moi aussi j'avais ma Brigitte.
Tu avais raison. Évidemment. Cette chanson de France Gall, que j'ai chanté tant et tant de fois, qui colle magnifiquement bien à ton roman. Qui pourrait le résumer même si les paroles n'ont pas été écrites dans les mêmes circonstances mais là aussi, on interprète à notre manière. Selon notre propre histoire. Comme ton roman. 

Ma chère Brune, 

Toi et moi sommes semblables dans cette histoire. Pour France Gall. Par cette amitié fusionnelle, celle dans laquelle on partage tout, le meilleur comme le pire. Corps et âme. Cet(te) autre qui devient un prolongement de nous-même. Gémellité. Non pas du sang mais du choix. Un lien presque charnel. Il y a de ça, c'est en tout cas ce que j'ai perçu. 
Un appétit dévorant avec elle. Brigitte, avec qui vous partagez vos premières fois, vos folies, vos envies. Avec eux aussi. Ces autres. Avec l'élu. Celui épousé dans une jeunesse inachevée. Où né le soleil. L'enfant. Poursuivre la vie. Danser. Fumer. Cramer ses nuits jusqu'au petit matin. Et puis dévorer la peau. Succomber à l'autre. Jouer avec le feu, le temps. Mettre cette amie dans chacune des confidences. Chaque étape de vie. De nuits. Consciente du danger. Mais l'amitié est plus forte. Vous êtes plus fortes. Vous n'êtes qu'une.

Sauf qu'une amitié si forte a ses limites. Ses explosions. Celle du temps. Celle des autres et de nous-même.  Celles des axes de vie qui bifurquent. L'extravagance et la discrétion, la brune et la blonde qui se répondaient si bien et dont les liens s'étiolent sans en comprendre les raisons. Jusqu'à la trahison. La rupture. 
Jusqu'au jour où le feu s'embrase. Ce feu intérieur qui dit tout le besoin de vivre sa vie quand celle-ci a commencé trop tôt, trop jeune, pas dans la bonne direction. Ce feu qui pousse aux risques autant qu'au désir. L'instinct. Celui d'explorer. Devenir femme. Absolument. Dans le corps d'un homme qui n'est pas le sien. Triangle amoureux. Vibrer. Jouir. Se fondre dans le corps de l'autre. Pleinement. Briser les modèles. Et par là, briser probablement celui de Brigitte.

“ Quand un homme tremble en vous voyant, prenez garde. Méfiez-vous de ce qu'il va vous dire, à quel point il va bouleverser votre vision de l'amour. Méfiez-vous des hommes qui vous aiment autant que Marceau a pu m'aimer. Mais savourez. Souriez et dansez sur terre uniquement pour qu'un homme vous regarde comme ça. ”

Dix ans plus tard, revivre tout ça à travers le fœtus d'un enfant qui pousse. Maternités superposées. Sentir l'autre revenir, sentir son ventre. Sa peau. Son odeur. Dans les mots de ceux qui restent. Ceux de Rose – ta fille – aussi. Et puis dans les rêves. Le chaos, l'absence qui déchirent les entrailles. La violence de plein fouet. De cette relation. De cette double personne, parfois. De ces états d'âme qui troublent, cette noirceur qui envahit le regard de l'autre. Et la violence de cet amour ardent. Un amour qui se rejoint où que les âmes aillent. Plus fort que tout. Plus grand que vous.

Ma chère Agathe, 

Tu t'es mise à nue à travers l'écriture. Devant moi. Devant les autres. Avec ta fougue. Ta sincérité. Humblement. 
Il y a tant de choses à dire sur ton livre mais j'ai écrit ces mots dans l'impulsion. Je n'ai pas envie de tout décortiquer, tout analyser, tout hiérarchiser. J'aime ce bordel qui me trahit (tu comprendras ce qu'il trahit j'en suis sûre).

Tu as exploré la féminité qui bout dans nos ventres. La complexité des relations. La douleur. La blessure provoquée par les autres, aux autres ou infligée à soi-même. Les failles. La jeunesse qu'on voudrait ne pas voir finir. L'âge adulte qui se dessine. La colère. L'absence. Les conséquences de nos actes et de nos décisions. La liberté indomptable. Tu as englobé les sentiments avec ta modernité, ta féminité. En un cri qui s'affirme à mesure des pages. Des mots francs, directs mêlés à ces quelques mots d'amour. Parce que c'est aussi cela ton livre.

“ Les êtres entrent et sortent de nos vies sans rien commander. Nos idéaux et notre volonté sont soumis à l'unique chimie des corps et de tout ce qui a été décidé avant nous. Nous évoluons dans ce monde en obéissant du mieux que nous pouvons à ces lois. Nous passons notre temps à refréner cette puissance obstinée. Les corps se croisent, s'entrecroisent, puis oublient, tout est infiniment moins important que ce nouvel être qui palpite, nu, impatient de découvrir le monde. Cette naissance est à l'image de notre amitié, elle définit la violente beauté de la vie. ”

Il y a des êtres, des relations que nous ne pouvons rejeter, ou oublier. Des autres terriblement ancrés en nous. Des absences douloureuses que le temps même ne cicatrise pas. Ces absents qui sont partout, font « un bruit épouvantable », sont « des trous dans nos cœurs ». Inévitablement. Mais au bout de tout cela, mes chères Agathe et Brune, vous avez fait la paix et eu ce courage d'apprendre à être douce avec vous.

Commentaires

  1. Je ne sais pas si je le lirai. Peut-être pas de suite, attendre encore un peu. Moi aussi j'ai eu ce genre de Brigitte dans ma vie et après 14 ans, il m'est difficile de lire ce genre d'histoire très personnelle.
    Tes mots sont superbes, Amandine.

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    1. Je comprends c'est parfois particulièrement difficile de faire face aux fantômes...
      Merci Fanny pour tes mots.

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  2. Oui, nous avons toutes notre Brigitte ... Et l'ère des réseaux sociaux ne fait que renforcer l'impossible deuil. J'ai aimé te lire dans ces lettres, comme j'ai aimé lire Agathe dans son livre. Celui qui écrit se met souvent à nu dans l'écriture, qu'elle soit autofictive ou fictive ...

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    1. Oui les réseaux n'aident pas. La vie non plus parfois. Je te rejoins, il y a toujours de soi dans les écrits (pour ça que je n'écris plus ahah).
      Merci ma douce Alexandra.

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  3. Un des meilleurs titres que j'ai vu depuis longtemps.

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  4. Je suis très curieuse de découvrir ce texte, cette question de l'amitié qui explose parfois me touche, comme elle doit toucher de nombreuses femmes.

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    1. J'espère qu'il vous plaira. Je pense, oui, que nous sommes beaucoup à avoir connu ce genre d'amitié...

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