Est-ce ainsi que les hommes jugent ? de Mathieu Menegaux : quand la justice se laisse aller à la pression sociale

Est-ce ainsi que les hommes jugent
Paru aux éditions Grasset en mai 2018
234 pages

Après le coup de poing pris en plein visage avec Je me suis tue, j’attendais avec impatience de lire les deux autres romans de Mathieu Menegaux. Et comme je ne fais rien comme tout le monde c’est le dernier, Est-ce ainsi que les hommes jugent ?, qui est passé le premier entre mes mains. 


Mathieu Menegaux a ce talent pour nous laisser nous infiltrer dans l’esprit de ses personnages, pour nous embarquer dans une histoire sous tension et jouer avec nous. Les hypothèses, les fausses pistes, les dérives, rien n’est laissé au hasard. Et il nous le prouve une fois encore.

“ La petite fille ne dit rien, elle est accrochée au corps de son père et elle pleure sans s'arrêter, sous le choc. [...] La plaque ? Rien. Soleil dans les yeux. Nouvelle immatriculation ou ancienne ? Rien. Rien. Rien. Rien qu'une petite fille qui se dira toute sa vie que son père est mort par sa faute. ” 

Gustavo Santini, Argentin d’origine, est un père de famille respectable. Il a gravi les échelons dans son entreprise à la seule force de son implication et de son dévouement. D’ailleurs ce matin où tout bascule, Gustavo a une grosse présentation. Une de celle que l’on ne peut pas se permettre de rater. Mais d'un coup, d'un seul, ça s'excite, ça se bouscule « Toc-toc-toc ! Ouvrez la porte ! ». Qu’est-ce donc cette mauvaise blague qui le cueille au saut du lit ? La police. Ils sont là, chez lui et sont nombreux. Santini ne comprend pas. Ils fouillent, ils interrogent, ils embarquent. Les objets et lui. Lui qui se dit qu’il s’agit là d’une erreur. Que lui veulent-ils ? Et que disent-ils à sa femme et à ses enfants ? Et son patron ? 
Rapidement, Santini va déchanter. Nous sommes le 22 mars 2016. Placé en garde à vue. Accusé d'homicide volontaire et de tentative d’enlèvement sur mineure. Où était-il le 19 janvier 2013 ? Il y a trois ans… Sont-ils sérieux ? 
Le commandant Defils a fait une promesse à Claire, cette orpheline, victime et fille de la victime. Il traquera le meurtrier jusqu’à le trouver. Et c’est chose faite ce matin 22 mars 2016. Il en est convaincu. Ça ne sert à rien de nier. Trois ans de recherches mais il les a ses indices, ses preuves. À moins que…

Dans ce nouveau roman que l’on ne peut lâcher avant la dernière page, Mathieu Menegaux ne nous épargne rien, ni la descente aux enfers d’une famille heureuse et paisible, ni les vices de la société. Parce qu’il est question de cela ici. Les vices, la justice, la pression, l’engrenage. Si Je me suis tue laissait planer le doute sur l’affaire qui se reconstituait sous nos yeux, Est-ce ainsi que les hommes jugent ? ne laisse aucune place à la surprise quant à l’innocence ou non de Gustavo. Il l’est. Et c’est là qu’est toute l’habilité de l’auteur, nous mettre face aux faits, face à l’innocence d’un homme et pourtant nous montrer le côté sombre de chacun. Car la justice n’est pas la seule à entrer dans la danse. Le peuple a son mot à dire, Claire a son mot à dire, les médias ont leur buzz à faire. Qu’importe s’ils détruisent une vie, une famille, un homme. Ils veulent faire leur justice. Celle des réseaux sociaux. Celle qui condamne sans même ne rien connaître de l’affaire. Qu’on lui coupe la tête, ça ne peut être que lui, l’immigré Argentin ! Lynchés lui et sa famille, menacés sur Facebook, Twitter, harcelés jusqu’au pas de leur porte. Comment ne pas craquer ? Comment ne pas perdre le contrôle ? Que fait la justice, la vraie, la seule ?  Quel rôle jouons-nous ? Sur quelles bases jugeons-nous ? La présomption d’innocence a-t-elle seulement un sens ?

“ Il a été sur le point d'avouer un crime qu'il n'a pas commis. C'est surtout ça qui le marque à cet instant. Il a douté de lui, de sa femme, de la police, de la justice de son pays, au point d'être prêt à tout abandonner, à baisser les bras et s'autodétruire. Le choc est dévastateur et la fissure n'est pas prêt d'être comblée. ”

Certes le thème n’est pas nouveau. La pression des réseaux sociaux poussant à la pire inhumanité est abordée dans beaucoup de romans dernièrement mais confronter cela à la vraie justice est malin. Et l’on ne peut s’empêcher de tourner les pages avec frénésie, on essaye de comprendre, mais y a-t-il seulement quelque chose à comprendre ? Peut-on vraiment trouver une explication à tout ce déferlement de haine facile ? Je n’en suis pas certaine. Et ce qui est certainement le plus glaçant lorsqu’on referme ce roman c’est de se dire qu’inévitablement tout cela pourrait arriver à n’importe qui. 
Personne n’est à l’abri de rien. 

Commentaires

  1. C'est vrai qu'il sait y faire. Ceci dit, après avoir lu ses deux premiers romans, je ne suis pas sûre de lire celui-ci.

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  2. Chez Mathieu Menegaux, j'aime cette capacité qu'il a à nous mettre devant la réalité avec brutalité : on ne peut pas s'empêcher de se demander ce qu'on ferait à la place des personnages. Il n'y a pas de tabou, il peut explorer tous les sujets. Ses deux premiers romans m'ont bouleversée, alors j'espère qu'il en sera autant de ce dernier !

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    1. Je n'ai pas encore lu "Un fils parfait", je trouve celui-ci plus brut dans la confrontation avec la réalité, surtout que le sujet est cruellement d'actualité, mais moins bouleversant que "Je me suis tue". Ce qui ne veut pas dire qu'il est moins bon, il est différent et c'est aussi bien.

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