L’affaire Mayerling de Bernard Quiriny : ça déménage dans ce roman !

L'affaire Mayerling
Paru aux éditions Rivages - 300 pages


Sur les bons conseils de Virginie (Les lectures du mouton) et dans le cadre du Prix Orange du Livre, j’ai ouvert le livre de Bernard Quiriny en me disant que j’allais forcément reconnaître un peu de mon ancienne vie. Un an et demi dans l’immobilier et puis … j’ai fui ! Attention, je ne dénigre pas la profession loin de là mais disons que ce n’était pas un métier fait pour moi. 


Alors que se passe-t-il à Rouvières ? Deux hommes, dont notre narrateur, semblent enquêter. 
Les immeubles fleurissent un peu partout, c’est la mode du haut standing. De superbes appartements entourés d’un parc à la végétation luxuriante, venez, entrez, voyez comme il fait bon vivre dans ce cadre de vie idyllique. Un havre de paix à la ville. Du moins en apparence et sur la belle affiche du promoteur immobilier espagnol CFR qui a racheté le terrain sur lequel était bâtie une magnifique demeure vieille de plusieurs siècles pour construire le Mayerling. Dans le quartier, le chantier fait grincer des dents. La vue dégagée va bientôt laisser place à de belles et grandes baies vitrées donnant sur des balcons fleuris. Ça ne plait pas à tout le monde. Mais contre les mastodontes de l’immobilier on ne peut pas grand-chose…
“ Enfin, argument suprême : vu le prix, les voisins seraient fortunés. Valérie n'avait rien contre les pauvres, elle avait même une conscience sociale très pointue ; mais c'est un fait universel qu'au moment des choix importants - le logement, l'éducation des enfants, etc. - l'égoïsme individuel l'emporte.”
Et puis l’engouement est de rigueur du côté des acheteurs. Bientôt ce joli immeuble bétonné voit ses logements tous occupés par des propriétaires et quelques locataires. La vie démarre paisiblement. Mais rapidement, derrière ce grand mur qui sépare la résidence du reste de la ville, tout se dérègle. Les conflits de voisinage bien sûr, le grand classique ! Mais pas que… Le jeune couple amoureux commence à se mettre dessus, insultes, menaces, objets cassés. Une quinquagénaire retrouve sa jeunesse et est prise d’une crise aiguë de nymphomanie. Des fissures apparaissent, des problèmes de plomberie. Des ordures qui s’amoncellent. Des odeurs pestilentielles provenant de chez une voisine s’infiltrent dans l’appartement voisin. Des fantômes qui s’invitent. Un dîner entre amis qui vire au cauchemar. Un enfant qui perd les pédales. Des habitants qui tombent étrangement malades… Bref ça part sacrément en cacahuète dans cette résidence. D’autant que le syndic semble être aux abonnés absents et que le constructeur pffuu clé sous la porte ! Alors que peut-il bien se passer ? L’immeuble semble vouloir du mal à ses habitants mais ceux-là pourraient bien finir par se rebeller. A la guerre comme à la guerre ! 

“ Les copropriétaires dont les noms suivants, réunis en société,
Considérant que leur vie au Mayerling est infernale ;
Persuadés, aussi fou que ça paraisse, que le Mayerling est à l'origine de leurs problèmes ; qu'il est hanté ; qu'il continuera de les persécuter, ainsi que quiconque l'approchera ;
Jugeant qu'il présente un danger pour eux, pour le quartier, pour Rouvières et, peut-être pour l'humanité ;
Choqués par le décès de deux voisins, et le soupçonnant d'être coupable ;
Refusant de se laisser torturer, de fuir, de capituler,
Ont arrêté les dispositions suivantes :
Art. 1er. Les copropriétaires du Mayerling déclarent la guerre à l'immeuble. [...] ”

Notre narrateur et son compère Braque vont alors remonter le cours de l’histoire pour tenter de comprendre ce qu’il a bien pu se passer dans cet étrange lieu de vie qui rapidement va susciter l’intérêt du quartier, des journaux, des médecins, des associations… vous en voulez encore ? Des administrations, des syndicats immobiliers, et même des artistes ! Les rumeurs enflent, les spéculations vont bon train. L’affaire Mayerling devient nationale. Comment faire du sensationnel avec une « simple » décision de copropriétaires … jusqu’au fameux « JE SUIS MAYERLING »… n’est-ce pas là tout le talent de l’être humain qui cherche à occuper ses journées avec ce qui est capable de faire le buzz ? 

Après le monde de l’entreprise et le bâtiment vivant d’Arnaud Le Guilcher dans son excellent roman Du tout au tout, voici venu le monde de l’immobilier et le bâtiment maudit de Bernard Quiriny. 

De situations cocasses en théories scientifiques en passant par l’appui d’œuvres littéraires appelées par nos enquêteurs la « bibliothèque immobilière » Bernard Quiriny offre à son lecteur un moment jubilatoire où derrière l’absurde des situations et l’ampleur franchement loufoque de l’affaire se cache une brillante critique de notre monde urbain, surpeuplé à la verticale, bétonné aux promesses bien peu à la hauteur de nos rêves. 
Soyons réalistes, la profession en prend clairement un coup. Et j’ai souri si souvent à l’évocation de certains us et coutumes pratiqués dans l’univers immobilier qui m’ont rappelé quelques vieux souvenirs. Ah si vous recherchez un appartement de haut standing dans une belle résidence neuve, ne lisez peut-être pas L’affaire Mayerling cela pourrait bien vous refroidir (moi personnellement j’ai toujours préféré l’ancien, au moins si surprise il y a, on est un peu moins étonné ;-)). Modérons malgré tout, toute la profession n’est pas à mettre dans le même panier et heureusement. En parlant de panier, l’auteur y glisse aussi les architectes qui pensent et dessinent ces fabuleux immeubles et puis les syndics de propriété bien connus pour les appels de fonds plutôt que pour leur rapidité à régler un problème structurant. Mais ne pensez pas qu’il ne s’arrête qu’aux professionnels, nous sommes aussi dans son viseur ! Petits humains si soucieux de vivre en ville proche de tout, prêt à tout pour un bout de parcelle paisible. L’accession à la propriété, le rêve de beaucoup pour un peu de bonheur. Mais à quel prix ?  

“ Demandez à un urbaniste pourquoi les villes aujourd'hui sont laides, invivables, malfamées, les habitants tristes, malades : il ne répondra pas qu'il y a trop de béton, de bâtiments hideux, pas assez de verdure : il dira qu'il n'y a pas assez de béton, et trop de verdure. Que la Révolution, en somme, n'est pas allée assez loin. ”

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