Mademoiselle, à la folie! de Pascale Lécosse : quand le rideau tombe et les lumières s’éteignent

Pascale Lécosse
Paru aux éditions de La Martinière
128 pages

[Tac. Tac. Tac. Levée de rideau.] 
Catherine est une femme dotée d’une prestance naturelle, une femme qui scintille sur les planches chaque soir. Le théâtre est toute sa vie. Quand elle n’est pas sur scène, c’est dans son appartement, en compagnie de Mina sa fidèle amie, qu’elle répète son prochain texte. Boit du champagne. Répète. Inlassablement. Parfois Jean, son amant, lui rend visite, le temps d’une nuit, loin de sa femme. L’amour clandestin. 
Mais les trous de mémoire viennent sonner les trois coups. Qui est cette femme dans son appartement ? Comment s’appelle cet homme ? Quand le cerveau joue des tours, de vilains tours, à une actrice qui s’apprête à recevoir la Légion d’Honneur, ça fout le bordel. Dans sa vie, et dans celle de ceux qui l’entourent. Ils refusent tour à tour de voir le mal s’installer. Inévitablement. 
[Tac. Tac. Tac. La sentence tombe.] 
La vie continue, en équilibre. Comme on peut. Comme Mademoiselle veut. Avec folie. Avec passion et déraison. Mais pour combien de temps encore ? 

« C’est la forme précoce de la maladie que je développe, la plus dévoreuse, la plus avide. J’ai dans la tête un mal gourmand qui me transforme en rosier stérile. Une saleté qui fait de moi une autre. Je voudrais l’espérance. »
Bien vite on comprend de quoi il s’agit. On comprend que la comédienne perd la tête. Que la maladie est le moment propice pour fouiller dans ce qu’il reste de mémoire, s’accrocher aux souvenirs en filigrane, même s’ils sont douloureux. Les serrer contre soi pour ne pas perdre pied. Pas totalement. Pas encore. Préserver la tendresse et la franchise à l’égard de ceux que l’on aime. Repousser l’échéance du mieux que l’on peut. 

Divisé en deux voix, celle de Catherine et celle de Mina, ce court roman nous apporte ainsi le point de vue du malade et du proche, cette impuissance qui frappe de toute part. 
Pascale Lécosse décrit sans pathos cette foutue maladie, cet Alzheimer, que j’ai longtemps cotoyé. Que j’ai vu s’immiscer dans le petit corps frêle de cette femme, celui de ma grand-mère. Qui détruit tout sur son passage, la mémoire, la force, la parole, le corps aussi. Mais Mademoiselle, à la folie! c’est aussi et surtout le refus de capituler. Ce roman n’est que les prémices, la lutte, le déni aussi. Avant l’acceptation. Avant que Mademoiselle décide elle-même de baisser le rideau.
« Le temps me pèse, m’écrase, ratatine mon existence déjà rétrécie. Je me réduis sans me dissoudre tout  à fait… Je ne me résous pas encore… et pourtant à quoi bon continuer ? Aurais-je la force de bouter cet ennemi sournois qui envahit mon intelligence pour s’emparer de ma liberté ? » 
La plume de l’auteure précise et concise laisse de côté le récit classique pour s’adonner à son plaisir, si j’ai bien compris, qu’est le théâtre. Au milieu d’élégantes envolées, percutantes, et tranchantes, les répliques occupent la plus grande place dans ce court récit. Une originalité qui m’a laissé un peu sur le bas-côté je dois bien l’avouer. J’ai toujours beaucoup de mal avec ces récits qui comportent trop de dialogues, qui semblent avoir besoin de cela pour meubler le vide. Evidemment ici ce n’est pas le cas, c’est un véritable parti pris, cohérent avec la vie de Catherine. Et peut-être que Pascale Lécosse a souhaité également par ce procédé instaurer une certaine distance entre son personnage et le lecteur. Mais je suis mitigée entre cette préservation par le dialogue et cette force qui aurait pu être décuplée car derrière ces répliques aussi justes soient-elles, il y a selon moi une plume encore plus vibrante. Et j’aurais aimé la découvrir plus longuement. Mais ce sera peut-être le cas lors du second roman.

Et en dépit de ce détail, Mademoiselle, à la folie! reste une jolie réussite, vivante, singulière et drôle malgré un sujet épineux et douloureux. C’est un bel hommage à la combativité, à cette famille que l’on se crée et qu’on appelle amitié.


Une lecture accompagnée de ...

Une coupe de champagne, c'est la "saison" et ça colle parfaitement à l'univers de ce livre. Côté musique on pourrait choisir quelques symphonies mais autant mettre un peu de folie :
Kozmic blues de Janis Joplin
I'm so tired par The Beatles
Marz de John Grant
I'm a lie mais aussi Kate de Charlotte Gainsbourg
Alone / with you par Daughter
Star triste de Juliette Armanet 


Commentaires

  1. J'aime beaucoup ton billet, même si le texte ne t'a pas complètement conquise. Quant au sujet, douloureux, il ne manque pas d'intérêt.

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