Qui ne dit mot consent d’Alma Brami : l’enfer des amies

Qui ne dit mot consent
Paru aux éditions Mercure de France
165 pages

Lorsque Nath du blog Le boudoir de Nath a publié sa chronique sur ce livre j'ai su d'emblée qu'il me ferait l'effet d'une énorme claque en plein visage. C'était un euphémisme...


Emilie et Bernard sont mariés depuis de nombreuses années. Ils ont deux enfants, qui ont quitté le nid familial. Installés en campagne, loin du tumulte de la ville, ils semblent jouir pleinement de la retraite. Profitant de la jolie tonnelle qu’il lui a construit, avec vue sur la vigne. Les jolies tomettes au sol de la cuisine. Une belle et grande maison donc propice aux bons repas, et à la réception d’amis. D’amies en l’occurrence… Car Bernard met un point d’honneur à convier des femmes pour que la sienne se sente moins seule. C’est en tout cas ce qu’il prétend. 
Mais une fois la porte fermée, qui sait ce qu’il se passe réellement entre les murs de cette grande demeure ?
“ Résister, rester fière, être vaillante. Pour mes enfants, pour tout ce qu'on avait construit, pour mon mari aussi, je ne le laisserais pas détruire notre rêve, même si ce n'était plus tout à fait le sien. ”
C’est alors que peu à peu, le lecteur va s’apercevoir du mal-être qui habite cette épouse attentionnée et amoureuse comme au premier jour. Les allusions à leur vie commune se dessinent sous la plume d’Alma Brami. Pas à pas. Puis plus nettement. Des allusions qui deviennent alors des faits concrets. Et ses invitées censées devenir des amies d’Emilie vont se révéler toxiques. Exit les bonnes intentions. L’époux modèle va dévoiler tous ses vices. De la compagnie amicale à la chambre (extra)conjugale il n’y a qu’un pas … Un pas que le mari franchi au gré de ses envies. Sous les yeux impuissants d’une femme qui l’idolâtre. Alors on se demande pourquoi une telle passivité et surtout comment elle peut cautionner un pareil comportement. Et puis l’on comprend que certains excellent dans l’art de la manipulation. Qu’il n’y a qu’un pas entre manipulation et tyrannie… Alors les silences deviennent le quotidien d’Emilie. Elle se tait. Elle accepte. Difficilement mais elle accepte. Par amour. Par aveuglement. Parce que sans lui, elle n’est rien. Elle n’a personne. Il est tout. Tout ce qu’elle a. Tout ce qu’il lui reste. 
“ Mon mari me rapportait ses proies, comme un chat victorieux qui dépose aux pieds de son maître un oiseau, un lézard ou un mulot. Il me demandait ce que j'en pensais, laquelle je préférais, il essayait toujours de me convaincre de leurs qualités multiples. Il me racontait ce qu'il voulait, mais je ne devais pas poser de questions. T'es trop curieuse là mon Cœur, ça me met mal à l'aise, j'ai l'impression que tu fais des fiches.
Dans ce huit-clos mené tambour battant, la tension monte crescendo jusqu’à l’événement où tout bascule. Où tout s’enchaîne. La machine est lancée. Alma Brami met le doigt dans l’engrenage. Celui qui laisse peu de place à un avenir meilleur tant que l’étau se resserrera… 
Et la descente est vertigineuse. Les portes de l’enfer se dressent. Et avec elles la perte de soi. Alors l’écriture se durcit. Se saccade. Comme la vie d’Emilie. Elle vous prend aux tripes. Vous noue le ventre. Vous fait monter les larmes. De haine. D’écœurement. Le cœur au bord des lèvres.
“ Tu m'appartiens, chaque pore de ta peau m'appartient, je te crée quand je te touche, je te touche pour que tu existes. Il avait raison, il n'y aurait rien après lui. Terre brûlée. ”

Qui ne dit mot consent n’est pas sans rappeler le splendide film de Maïwenn « Mon roi » qui met en lumière l’emprise psychologique et psychique qu’un homme peut avoir sur la femme (mais l'inverse est possible aussi). Cette propension qu’il peut avoir à la destruction habile, vicieuse et glaçante de l’être aimé. Cette finesse – si l’on peut dire – à faire accepter à l’autre l’inacceptable. A manipuler au point que l’autre se pensera fautif. Perdu. Et cela Alma Brami le décrit si bien que la lecture est souvent insoutenable, oppressante, suffocante.   
Alors oui, pour aborder ce roman, il faut avoir le cœur bien accroché. Peut-être une histoire personnelle bien éloignée aussi… Mais en même temps, il est une détonation. Car il force à ouvrir les yeux sur des choses que ne savions pas forcément nommer ou que nous ne voulions tout simplement pas voir … 
Et il vous fait dire que vraiment, briser une vie tient à si peu. Tient parfois en un mot … Amour. 


Un livre, une musique 
En lisant Qui ne dit mot consent je n’ai pu m’empêcher de penser à la sombre chanson d’Agnès Obel Familiar et dont le refrain décrit avec justesse le contenu de la vie d’Emilie … 

And our love is a ghost that the others can't see
It's a danger
Every shade of us you fade down to keep
Them in the dark on who we are
(Oh what you do to me)
Gonna be the death of me
It's a danger
Cause our love is a ghost that the others can't see

Commentaires

  1. Quelle belle chronique ! Tu as parfaitement retracé tout ce que j'ai moi-même ressenti page après page..
    Il faut savoir que "ça" existe vraiment cette perversité destructrice. Ton article est époustouflant de justesse et de maturité. Bravo !

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    1. Oh touchée en plein cœur ma Nath ! Mais parfois j'aimerais ne pas l'avoir cette justesse ou cette maturité...
      Bref vivement décembre que je te fasse une grosse bise.

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  2. Je sais qu'il ne faut pas faire d'amalgame en disant que l'amour ce n'est qu'une blessure profonde malheureusement si ce livre est si fort c'est qu'il pose les bases d'une réalité pour beaucoup de françaises. C'est pour ça qu'il m'intéresse et les citations que tu as mises sont magnifiques !

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    1. Disons qu'en plus avec l'actualité de ces derniers temps il est d'autant plus réaliste...
      C'est ce que j'ai aimé aussi dans l'écriture de l'auteure. Le début est simplement raconté avec des mots simples de tous les jours et puis la fin prend une toute autre tournure dans l'écriture. Elle devient fracassante et nous entraîne dans un puit qui semble être sans fond.

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  3. J'avoue que ce type de sujet me met très mal à l'aise, il fait généralement jaillir en moi un véritable sentiment de révolte. Pas sûre d'avoir vraiment envie de m'y frotter...

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    1. Je comprends totalement. Il m'a fallu poser plusieurs fois ce livre au cours de ma lecture car la colère montée en moi de manière fulgurante.

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  4. J'aime en général les livres qui nous bousculent - qu'importe la manière. Cette chronique est parfaite, et me donne, malgré le sujet, très envie de courir me l'acheter.
    Merci :)

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    1. Fonce alors il va forcément te plaire, si l'on peut utiliser ce terme au vu du sujet ...

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