Encore vivant de Pierre Souchon : quand la maladie mène à l’écriture d’un roman brillant

Pierre Souchon
Paru aux éditions du Rouergue
288 pages

Ce premier roman je tenais absolument à le lire, parce qu’il aborde le thème de la maladie. Thème courant me direz-vous. Eh bien non, car il s’agit ici de bipolarité. Si l’on en entend beaucoup parler dans les médias, je trouve que c’est un thème assez peu abordé en littérature. C’est donc avec appréhension et curiosité que j’ai ouvert Encore vivant qui porte merveilleusement bien son nom.


“ Elle prenait des notes sur nos gueules, sur ma gueule, sur mes attitudes de timbré, mes réparties, mes réponses, mais qui ? Qui était-elle ? Saloperie de merde ! Je rêvais de l’étriper, on l’aurait crue en goguette au zoo. « Bonjour, je suis étudiante en psychologie, si ça ne vous dérange pas je vais vous observer. » Bien sûr, mais faites, nous acceptons les cacahuètes. C’était terrible, d’être passé du côté d’une drôle de barrière dont on n’avait même jamais songé qu’elle existait. La barrière des fous. Celle qui nous séparait des autres, les normaux, ceux dont la vie était belle. ” 
Pierre Souchon est journaliste mais il est aussi bipolaire. Une maladie qui aujourd’hui encore est sous-diagnostiquée. Une maladie qui vous gâche une vie, qui vous entraîne dans des phases maniaques et des phases dépressives. Et c’est cela que Pierre Souchon décrit dans ce roman. A travers de grandes tirades flamboyantes, poétiques et violentes aussi, il nous entraîne dans le tourbillon de sa maladie. Dans les couloirs de cet hôpital psychiatrique où il est admis après avoir été retrouvé en caleçon, mangeant des branches de Buis, en haut d’une statue de Jean Jaurès à qui il parlait en pleine nuit.
Issu d’une famille de paysans, Pierre Souchon a vécu une enfance plutôt heureuse et a fait la fierté de son père lorsqu’après le bac il décide de faire une prépa. C’est là que tout bascule Pierre connaît sa première vraie crise. Puis il se relève, il se bat, il suit scrupuleusement son traitement et devient journaliste pour le Monde Diplomatique et L’Humanité. L’humanité, une valeur qui ne cesse de hanter cet homme, qu’il cherche partout, qu’il pense perdu aussi. Puis il épouse Garance, une femme de la belle bourgeoisie. C’est le choc des classes. Et pourtant, le père de Garance apprécie Pierre, se prend d’affection pour ce jeune homme en qui il voit un brillant avenir. Mais le gendre idéal est rattrapé par ses troubles maniaco-dépressifs... 
S’il a d’abord littéralement pété les plombs en étant admis à l’HP, refusant d’admettre ses crises, pensant les autres patients bien plus malades que lui,  il va finir par s’habituer peu à peu à ses murs gris, froids et imprégnés de folie. Et si les médicaments administrés lui font perdre la mémoire, il va cependant trouver dans ce lieu, le moyen de se retrouver, de se raconter. 
“ La sinusoïde vient de remonter légèrement, je le sens. Deux points sur l’axe des ordonnées. Un seul, peut-être ? Un seul. C’est juste un petit rebond (déclencheur cigarette). Demain, je sens qu’elle va redescendre. L’objectif, c’est racoler l’axe, draguer l’abscisse. Euthymie mon amour. Tu n’as rien vu à Euthymie. Je commence à déconner sévèrement… Eux aussi. Qu’est-ce que… Je t’en foutrai, des courbes. Et je m’en branle, de l’amour-propre. Je me tape complètement d’être réduit à un diagramme, à des oscillations datées – j’abandonne ces pudeurs aux faux poètes, sublimes ahuris qui n’ont aperçu la souffrance que dans un ciel un soir chargé, tous les fameux de la posture. ”
Sans apitoiement et avec une lucidité frappante, Pierre Souchon détaille avec une minutie cruelle et de grandes fulgurances ses accès de violence et de folie incontrôlables, la noirceur qui l’habite et que le monde n’illumine pas. Se mettant à nu, il jette sur le papier de manière déstructurée toutes ses pensées, ses réflexions sur la maladie et les traitements à la fois nécessaires mais aussi destructeurs. Des traitements qui l’affaiblissent autant qu’ils le renforcent dans ses convictions profondément humaines. Dans de merveilleuses envolées, il s’insurge d’ailleurs contre cette humanité qui semble avoir déserté le cœur des Hommes alors qu’elle est la solution pour les sauver. Et il défend avec amour cette terre d’où il vient, le monde paysan et ouvrier qu'il nous donne à découvrir tout au long de son récit.
“ J’avais été aveugle, mes yeux deux fois fermés. Fermés sur mon papet, dont l’immensité qui m’avait longtemps inspiré se réduisait aux frasques d’un tyran. Fermés sur ma mamet, dont le silence sur tout ce qui la fondait ne m’avait jamais effleuré.
Qu’est-ce qu’il me reste ?
Qu’est-ce qu’il me reste, maintenant, dans les ruines de ce banc, agenouillé en sanglots auprès de ces cendres de conséquence ?
Ma Garance.
Ravis-moi encore à la désolation, redonne-moi la promesse des lendemains.
Je t’aime comme les bêtes meurent. ”
250 pages d’une densité comme j’en ai rarement vu portées par un rythme frénétique, incisif mais hypnotique.  Et on souffre avec lui mais on rit aussi. Souvent. Un humour qui transpire dans ces lignes comme pour dédramatiser la douleur physique et psychique qui ne le quitte pas. Il remonte le temps pour tenter de comprendre à quel moment tout a merdé, quand son cerveau à commencer à vriller. Alors il passe en revue ses souvenirs familiaux, remonte le temps, bien avant sa naissance et part à la rencontre de ses grands-parents qu’il a parfois idolâtrés ou parfois négligés. En retraçant les échanges qu’il a avec son père lors de ses visites et qui lui permettent de sentir la chaleur et les odeurs de sa terre paysanne, il plonge dans son histoire pour se sentir ... encore vivant.

Lire ce livre c’est danser, avec Pierre, au bord de l’abîme. C’est comprendre la maladie autant que la révolte. C’est prendre conscience du rejet. Découvrir l’espoir et la beauté insoupçonnée d’une vie qui semble sans lumière. Mais c’est aussi et surtout se rendre compte que ce que l’on nomme vulgairement folie peut également être empreint d’une belle humanité.

Une lecture accompagnée de ...

Une bière, blonde, brune ou rousse qu'importe pourvu qu'on est la mousse. Côté musique, je vous propose un savoureux mélange :
Sainte Anne par Fauve (et la version live est un délice de 6 minutes) et même si elle ne colle pas tout à fait au livre, elle vous donnera un exemple du débit de ce livre.
Working class hero par John Lennon
Kamikaze par MØ
House of the rising sun par alt-J
Coming down par Singtank
LikeLikeLike par Sophie Hunger
Fuel to Fire par Agnès Obel
Road to nowhere par Applause
L-O-V-E par Nat King Cole

Commentaires

  1. Je l'ai plusieurs fois sur instagram et j'en ai lu de magnifiques citations, ce sujet me touche particulièrement car je connais aussi les HPs et ce milieu, parfois, au lieu d'être soigné tu es juste vu, comme il le dit justement comme un animal et les infirmières sont terribles de cruauté. Tout ceci n'est pas de la caricature mais les asiles existent encore. Je vais l'ajouter dans ma wish list celui là.

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  2. Je l'avais plus ou moins repéré (sans l'avoir mis pour le moment sur ma wishlist) mais ton avis m'incite à ne pas passer à côté).

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