La douleur porte un costume de plumes de Max Porter : les mots et l’imaginaire comme remède à la perte

max porter
Paru aux éditions Points en février 2017
144 pages

Un homme, écrivain, et ses deux enfants viennent de perdre celle qui était le pilier de leur tribu : une épouse, une mère. Un corbeau imaginaire va alors faire irruption dans leur vie. 
Contrairement à l’image que l’on a du corbeau, celui-ci ne sera pas « l’oiseau de mauvais augure » mais un compagnon - certes curieux, extravagant et narquois - pour ces trois hommes désormais seuls.

« Quatre ou cinq jours après sa mort, j’étais seul dans le salon à me demander que faire. A tourner en rond en attendant que le choc se résorbe, à attendre qu’une émotion structurée, n’importe laquelle, émerge de l’imposture organisée qu’étaient mes journées. J’étais aussi vidé qu’un pendu. Les enfants dormaient. Je buvais. Je fumais des roulées à la fenêtre. Je me disais que peut-être la conséquence principale de son départ serait que j’allais devenir ce coordinateur, ce vendeur méthodique de gratitude cliché, cet automate architecte de routines pour petits enfants sans mère. La douleur me semblait quadridimensionnelle, abstraite, vaguement familière. J’avais froid. »

Trois voix, trois émois, une seule douleur celle d’une femme décédée donc qui a laissé dans leur solitude infinie mari et enfants. Comment survivre à la perte ? Comment se relever lorsque le sol se dérobe sous nos pieds ? 
Voilà le défi de l’ami Corbeau, symbole de la mort. A sa manière, parfois maladroitement, avec humour (anglais bien sûr), mais toujours avec bienveillance, il tentera d’adoucir le quotidien de ces héros en leur racontant des histoires, en leur faisant vivre des aventures rocambolesques. 

Ce court livre n’est assurément pas un roman, c’est un conte, un poème bouleversant accompagnateur de la douleur. 
Max Porter brise ainsi les tabous du deuil avec finesse, acidité et drôlerie (si tant est que l’on soit sensible à l’humour anglais). Oui il y a bien sûr de la cruauté dans ce livre puisque la mort d’un être cher est cruelle mais il l’utilise avec humilité et intelligence. 
« Il était une fois deux garçons qui faisaient exprès de mal se rappeler les choses qui concernaient leur père. Ça les aidait à se sentir mieux au cas où ils oublieraient des choses qui concernaient leur mère. »
A tour de rôle, le père, les fils et Corbeau prennent la parole à cœur ouvert. Leurs mots porteront le poids de la mort laissant le lecteur ému par les sentiments qui s’entrechoquent dans le cœur de ces orphelins. 
Et qu’importe si cet oiseau, considéré comme oiseau de malheur, soit réel ou non, son but est ailleurs. Son but est de personnifier cette douleur et ce vide immense, ces manques qui s’immiscent dans le cœur, ces colères qui enveloppent. Son but est de faire s’envoler ces plumes noires pour tenter de renaître ou tout au moins trouver un peu de lumière pour poursuivre le chemin. 

La douleur porte un costume de plumes est une œuvre singulière qu’il faut oser lire, dans laquelle réel et fantaisie s’entremêlent harmonieusement. Les mots et l’imaginaire comme remède contre la douleur et le deuil. Et pourquoi pas ?  
« Tourner la page, le concept, c’est pour les idiots, toute personne sensée sait que la douleur est un projet à long terme. »

Commentaires

  1. Merci pour cette belle découverte!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Avec plaisir :) ce fut vraiment pour moi une très belle découverte et j'espère qu'il en sera de même pour toi.

      Supprimer
  2. Oeuvre singulière, mais un livre incontestablement attachant, intrigant... Je l'ai relu pour le prix et j'ai de nouveau apprécié d'être emmenée dans des contrées inconnues.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ahhh mais je suis entièrement d'accord avec toi ma chère Nicole. Sans compter l'originalité de l'œuvre pour traiter d'un sujet aussi délicat.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés